Depuis 1970, mon parcours en tant qu’apprenant  puis, à parti de 1978 en tant qu’enseignant au sein de plusieurs écoles, japonaises puis chinoises et enfin, taïwanaise, m’a permis d’agréger quelques repères pédagogiques. Je les  recommande aujourd’hui aux enseignants avec lesquels je collabore au sein du club que j’ai fondé. Tous  tendent  vers le primat de la tradition et de la dimension spirituelle d’un art martial, quel qu’il soit, sur le seul bagage technique sensé le différencier des autres. Le texte ci dessous n’est qu’un ensemble, parfois en style télégraphique,  de recommandations prodiguées  à des enseignants, afin de contribuer à les accompagner,  lors de leur transmission, avec ce qu’il m’a  semblé avoir perçu de mieux et surtout de vrai, d’universel, pour ne pas dire, d’éternel, de  notions employées par ceux de nos guides nous précédant sur la voie.   

A-Orientation, qualité, quantité.

-Savoir, lors du premier contact,  orienter un débutant vers la ou les disciplines, énergétiques et ou martiales  correspondant à sa personnalité, en fonction de ses aptitudes, de  sa disponibilité et de sa motivation

-Savoir lui faire admettre que peu de temps passé régulièrement à  une pratique qualitative prévalent sur une pratique trop  quantitative, brouillonne, et dispersée.

-Savoir convaincre un élève que l’excès de pratique est, comme pour toute chose aussi nocif pour le corps que pour l’esprit.

-Savoir communiquer à l’élève, surtout débutant, que notre pratique n’est pas essentiellement sportive, mais avant tout un art de vivre au quotidien.

-Savoir lui faire admettre que cette pratique nécessite un contrat de disponibilité avec soi même, ce, sur le long terme.

B-Etape de la formation d’un élève 

L’enseignant doit être imprégné de la notion de progressivité par  étapes de notre enseignement :

-Découverte  pour les débutants, 

Apprentissage pour les débrouillés, 

Consolidation pour les  avancés, 

-Perfectionnement, chez les confirmés,

–Expertise chez les anciens et enseignants, 

-Maitrise, décernée par le collège supérieurs des écoles pour les accomplis .

-Savoir faire admettre à l’apprenant que son évolution au sein de ces niveaux n’est pas forcément proportionnelle à son nombre d’années de pratique.

-Savoir faire admettre à tout apprenant face à l’amplitude de la tâche,  que celui qui veut véritablement apprendre s’en donne et en trouve les moyens ; que celui qui n’a que des velléités d’apprendre, se donne  et se trouve toujours des excuses, aussi justifiées soient elles. 

C-Objectifs

-Savoir communiquer à l’élève, surtout au débutant, la notion d’objectifs dégressifs ciblés,  liés à leurs aptitudes, capacités d’assimilation, disponibilité et  motivation.

-Savoir définir pour le groupe, ou pour l’élève, un objectif principal, par exemple sur une saison, ou un cycle de cours, quantifiable en termes de cognition, d’exécution, ou d’application.

-Savoir définir, en cas de difficultés,  un objectif secondaire à un groupe ou un élève, revu à la baisse afin d’appeler leur capacité d’adaptation, selon les  mêmes paradigmes  que l’objectif précédent 

-Savoir définir, en cas de persistance des difficultés, un objectif de repli, permettant à chaque groupe ou personne de ne pas repartir du cours investi par avec une sensation d ‘échec permanent et définitif.

-Savoir faire l’éloge des échecs de chacun en leur faisant admettre que le «nul » est plus haut situé que le « néant », que le chêne fut longtemps un gland, que nous nous  construisons grâce à nos échecs car ils sont représentatifs du chemin à re-parcourir ;  que nous nous détruisons à force de tourner le dos à la difficulté et de nous rechercher  la nouveauté.. en cas d’échec

-Les sensibiliser sur la notion de progression, comparable à l’intention de celui immergé jusqu’à la taille, qui avance à contre courant dans une rivière ; dés qu’il  s’arrête, le courant le fait régresser !!

D-temporisation  de la pratique

L’enseignant doit être empreint des notions suivantes faisant appel à ses connaissances et compréhension du fonctionnement physiologique et biomécanique du corps, selon des notions anatomiques précises.

-Durée des exercices adaptée à l’auditoire, à tout l’auditoire, prenant en compte celui des objectifs collégialement défini avec les apprenants.

Fréquence des  exercices adaptée à l’auditoire, à tout l’auditoire, prenant en compte celui des objectifs collégialement défini avec les apprenants.

-Intensité, surtout, des exercices adaptés ou pas, à l’auditoire, à tout l’auditoire, prenant en compte celui des objectifs collégialement défini avec les apprenants..

E- Connaissance de son auditoire.

-Connaitre le nom et le prénom de tous vos élèves

-En avoir la liste avec téléphone et adresse  courriels— Communiquer, s’il le faut, avec eux en dehors du temps réservé aux cours.

-Connaitre leur parcours dans de précédentes écoles, s’il y  a lieu.

– Etre en mesure de situer leurs capacités d’intégration, potentiel physiques, leur motivation, leur disponibilité.

-Etre en mesure de situer leurs limites et bâtir les objectifs en conséquence

F- Grands principes pédagogiques en rapport avec une transmission

-Savoir expliquer une technique, quelle qu’elle soit,  en terme brefs et concis… !!!

-Savoir la démontrer, lentement, puis à vitesse réelle, avec ou sans un partenaire avancé.

–Ne pas hésiter à l’exécuter, si nécessaire plusieurs fois,  en les laissant prendre  leurs marques

-Puis, leur demander de restituer leurs premières sensations, en vous retirant pour observer les défauts communs, puis,  individuels.

-Corriger, puis, redémontrer, seul ou avec un partenaire avancé, en prenant en compte ceux des défauts décelés, communs ou individuels.

-Reprendre le processus plusieurs fois, lors de  plusieurs cours selon le nombre de séances incluses dans le  cycle consacré à cette technique.

G- L’attitude à avoir avec chaque élève

-Calme, distance courtoise, mais disponibilité conférant une proximité réservée ;  sourire extérieur connecté à celui, intérieur.

-Toujours se positionner de manière à être vu et entendu de tous ; ne pas hésiter à le vérifier afin que personne ne soit oublié.

-Toujours s’exprimer d’une voix claire, uniforme, articulé, sans emphase, utiliser des mots simples mais précis

-Ne pas hésiter de demander à la cantonade, si chacun a compris ; ne pas hésiter à répéter et à  demander à ce que l’on vous fasse répéter.

-Ne pas digresser vers  des propos d’ordre  politique, confessionnels ou idéologiques, mystiques ou métaphysiques.

-Jamais de  « stroke » négatif, du style « tu es nul !», « « non ! », « ca ne va pas » ; au contraire, prendre par la main  ceux en difficulté ou en souffrance, et les accompagner vers un objectif intermédiaire préalable.

-Si l’on est amené à toucher une élève afin de le corriger, veiller à le faire selon un contact en douceur  montrant ainsi le respect du à ceux qui nous font confiance ; tout geste brusque peut être vécu par l’apprenant comme une agression qu’il jugera comme disproportionnée par rapport à l’intérêt qu’il accorde à la pratique.

-Apprendre à l’élève à entrer en sympathie avec lui-même, au sein des objectifs collégialement fixés avec lui, afin qu’il ne subisse pas incompréhension, fatigue et difficultés liés à l’exercice proposé..

-Donner à chacun plus que l’impression, la certitude que nous sommes en permanence leur accompagnant sur le chemin, que  nous avons fait notre affaire de sa  progression, leur montrant ainsi, quelque soit leur niveau ou leurs aptitudes, que nous croyons en eux, comme en n’importe quel autre.

-De la même manière, leur faire très vite sentir que l’accompagnement indulgent, calme,  paternel et souriant conduit par un gant de velours occultera en fait la main de fer d’une indéfectible exigence latente.

7-Du comportement d’un enseignant 

-Ne cultivez pas votre égo ! Tentez de vous défaire de cette poisseuse pelisse ornementale ! N’entrez plus  en compétition avec les autres enseignants ou adeptes de votre club ou d’ailleurs. !   Gardons tout au long de notre parcours, qui que nous croyons être devenus, notre capacité de voir tout un chacun avec les yeux émerveillés de l’enfant qui découvre, car nous pouvons toujours apprendre, même  du moindre débutant. N’oubliez jamais  que tout excellent que vous croyez être, vous trouverez toujours meilleur que vous, car l’excellence,  d’une acception sémantique à l’autre, ne revêt pas la même résonnance. 

-Ne cherchez pas, à tout prix à apposer une superfétatoire brillance de cour  à vos brèves  trajectoires : N’oubliez jamais  que l’essentiel de votre pratique, que cela soit en tant qu’apprenant ou sachant, ne consiste pas  à vous astreindre à tout prix à parvenir glorieusement au sommet de la montagne ou à surfer durablement sur le  faîte des crêtes.  Toutes sont glissantes. Plus on y reste longtemps, plus sure est la chute. Plus on croit être monté haut, plus dure est la chute ! L’important, le durable, le marquant et le remarquable, résident dans  la manière  dont vous  aviez, avez et aurez  cheminé dans  cette direction.

*-N’imposez jamais à ceux de vos élèves  réticents des exercices qu’ils ne   sont pas  venus chercher en adhérant à votre dojo, au motif que  vous y excellez. Ne cherchez pas à vouloir montrer et transmette trop tôt, trop vite, ce que vous mêmes venez d’apprendre, de comprendre, ou de ressentir : Sachez attendre que les apprenants en soient demandeurs. Concentrez votre suivi  pédagogique sur le contenu thématique du cours auquel ils  sont inscrits !  .

-Ne vous improvisez pas ou plus enseignant dans une discipline que vous ne connaissez pas ou peu, même si elle vous attire, avant d’en  avoir strictement et scrupuleusement  assumé la formation adéquate, dans le préalable respect envers  ses référents. On ne peut transmettre que ce que l’on a connu, compris et fait sien. On ne doit  enseigner  que ce que l’on sait et que l’on pratique.  En effet, dans un processus d’apprentissage, d’enseignement ou de transmission, Il est convenu qu’un formateur ne sait généralement, aisément et avec efficacité en capacité de ne communiquer et transmettre que partie de son savoir, estimé à 70%. L’élève à qui il transmet ne peut lui-même assimiler que 70 % de ce reliquat, ce, dans le meilleur des cas. De même, on ne retient en général, que 15% de ce qu’on  lit, 20% de ce que l’on écoute, 30% de ce que l’on voit, 40  à 50 % de ce que l’on peut cumuler entre vue et  écoute, 70% de ce que l’on dit , 80  à 90% de ce que l’on dit et fait dans le même temps.

 Ces chiffres, sans doute discutables, comme toutes statistiques, s’appliquent autant à l’apprenant qu’au sachant : ramener les possibilités d’acquisition à 70% relève donc d’un optimisme  prétentieux. Dans l’hypothèse ci-dessus, si l’on part d’un savoir initial noté «  « 100 », élaboré par un authentique maître fondateur ( Funakoshi, Ueshiba, Jigoro Kano, Wang Shu Jin, Wang Xiang Zaï), l’apprenti recevra  donc 70 % et n’en retiendra lui-même, selon cette logique, qu’un autre 70%, soit en fait 49% du message initial,  soit 34% lorsqu’il transmettra à son tour. Ensuite, cet élève  ne saura en transmettre que 70% de ce 34%   à son élève, qui n’en retiendra que 34 moins 70%, soit 24%, moins 70% soit 17% et ainsi de suite.  On ne doit plus  s ‘étonner de la voie essentiellement sportive vers laquelle ont muté , surtout par le biais  ajouté de nos très françaises  cultures administratives et  fédérales,  les arts martiaux japonais et chinois, entre autres !! Toute transmission d’école,  quelle qu’elles soient, procède d’un héritage de formes  technique, mais tout autant, si ce  n’est plus, d’un héritage moral, voire spirituel, donc, comportemental. Alors ne nous attribuons donc  pas présomptueusement  des compétences  dont nous n’avons pas même  assimilé le moindre iota. Même si nous en avons les capacités,  n’inventons rien avant d’avoir scrupuleusement ingéré les bases de ce que nous voulons transmettre,  ne synthétisons pas le néant avec le vide selon ce que nous voulons faire croire être notre conception synthétique, avant d’être pleinement en mesure de   clairement distinguer les composants, tenants et aboutissants des outils initiaux mis à notre disposition grâce et par ceux devant nous  sur le chemin de la tradition. 

– N’oubliez jamais que vos élèves  sont, de par leurs attentes et parfois leurs exigences, nos véritables  maitres.

Corolaire

En prenant en compte ces éléments de recettes et outils  de transmission, peut être parviendrez vous à instiller dans le cœur ou l’esprit de  quelques uns des élèves que le hasard ou le destin aura conduit vers  vous, des valeurs, des comportements, des acquis, des ouvertures qu’eux même, peut être, retransmettront à leur tour à d’autres, un jour, créant ainsi une lignée intergénérationnelle. Votre passage sur terre aura ainsi été concrétisé par un marqueur durable, plus fort que l’argent, plus fort que le pouvoir, car directement distillé de cœur à cœur.

Jean- Claude Guillot

Enseignant, Fondateur du Dojo Atemi

www.atemimontdor.com

St Germain Mont d’or, le 12 aout 2019.  


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