Participants

Emmanuel Aggletiner ,(Manu)  concepteur, interprète du voyage, sinologue, adepte très avancé.

Mario et Dominique Calabretto,  élèves d’Atemi Mont d’or

Jean Claude Richard, adepte indépendant, de Grenoble

Patrick Tsatsara , adepte indépendant, de Paris

Jean Claude Guillot , enseignant à Atemi Mont d’or

Pérégrinations d’un français en Chine

Deuxième voyage en Chine été 2010

Emmanuel*, l’organisateur, n’a pu, pour ce second voyage, rassembler que cinq personnes, dont deux de mes fidèles élèves,  Dario et Domitille, Jean- Claude, l’ex président du dojo Grenoblois de mon ex école, et un drôle de parisien, adepte indépendant. Je fus, pour ma part heureux de me retrouver en petit comité

Le pourquoi ce  nouveau voyage

Le voyage en Chine de l’été 2009 nous avait permis d’établir des contacts avec Maitre  Wang Shang Wen,  un des  héritiers de la pure  tradition du Da Cheng Chuan. Ce second voyage avait pour objectif de consolider ces liens, de vérifier notre progression sur la base de ses indications de l’an dernier. Ce voyage allait également me permettre de rencontrer Maitre Li Jian Yu,  auquel Manu* semble très attaché, Maitre célébrissime, en tant que dernier  disciple vivant à avoir connu le fondateur, Maître Wang Xiang Zhai.

Après un trajet en TGV  pour une fois sans retard, le groupe se constitue à Roissy. Nous arrivons tous épuisés à Pékin, dans  un aéroport géant, fluide et super bien organisé. Les retrouvailles avec Tian Nan, disciple du Maître, son plutôt cordiales, alors que les chinois sont par  définition peu expansifs. Nous devons encore subir deux longues  heures d’attente pour le train de nuit à destination de Linzi,  obscure bourgade sise  au cœur  de la province du Shan Tong, elle même  située à environ 600 km au sud est, ou doit avoir lieu le stage et l’entrainement. Dans le train, l’hygiène est redoutable, les fenêtres du train n’ouvrant pas, quelques contrevenants  ne se gênant pas pour transgresser l’interdiction de fumer. Les latrines à la turque, prises d’assaut, laissent s’exhaler  un fumet n’ayant rien de ferroviaire. Après un autre long trajet en mini bus, nous atteignons notre premier le lieu de séjour.

Lieu de séjour en Shan tong

L’endroit est idéal. Il correspond parfaitement à l’image que l’on peut se faire de la Chine profonde. Il s’agit d’un endroit adéquat pour mener une semaine d’entrainement intensif, avec d’authentiques chinois et leur maitre. Un bâtiment tout  en rez  de chaussée, réparti en fer à cheval, surplombe une vaste cour contigüe à  une petite rivière. Celle-ci se transforme un peu plus loin en une charmante cascade  chutant sur d’énormes rochers, assurant un chant d’eau  continu et apaisant. La cour qui relie les bâtiments contenant les chambres  est  vaste, spacieuse, en terre battue, plantée ca et là de plaqueminiers, assurant ainsi un dôme de verdure pourvoyant ombre et fraicheur.

D’autres participants chinois à ce stage

24-09-2010- Aussitôt arrivés, Maître Wang Shang Wen nous présente encore d’autres chinois. Tous ont entre trente et cinquante ans. Ils nous tous experts d’arts martiaux dans leur discipline respective. Je n’ai malheureusement pas souvenance de leur nom. L’un est expert en lutte chinoise, petit râblé, à l’apparence mongole. La rumeur  dit qu’un  jour, il aurait jeté un défi à WSW  qui lui aurait value  la plus grosse correction de sa vie. Depuis, il est devenu  son élève. Un autre plus petit, distingué, calme, aux mains longilignes,  longs cheveux soigneusement peigné, est être Maître de tai chi dans  le style rare du Wudang. Un troisième,  encore plus petit, malingre, gominé d’importance  au point de ressembler   à un garçon coiffeur, nous fait, à la demande de Shang Wen, à froid   une démonstration impressionnante de fa- li (explosion de force).  Un autre, un peu plus âgé, sans cesse vociférant, un peu rustaud,  est maitre de Tombei – chuan, une discipline interne moins connue.  Tous semblent en tout cas reconnaitre WSW comme leur maitre. Nous ne savons pas pourquoi ils sont là, mais tous manifestent beaucoup de plaisir à se retrouver et à échanger bruyamment, sans malheureusement qu’il me soit possible de saisir un traitre mot de ce qu’ils se racontent lors leur vocifération gutturales.  Je suis  toutefois rassuré, car Manu me confie ne pas capter grand-chose, lui non plus ! Nous retrouvons en fin d’après midi, en tenue pour un premier entrainement, avec les chinois occupant la place, comme d’habitude cigarette au bec, les mains dans le dos, assis, ou occupés à s’engueuler violement sur portable, avec un mystérieux correspondant auquel ils semblent jeter toute l’opprobre du monde.

Les entrainements sous la direction de WSW.

Pas de cérémonie, ni de présentation ; simple,  direct, le Maitre, toujours vêtu d’une de ses chemises de bucheron canadien à la poche pectorale garnie de réserve de cigarettes blondes, souriant, affable, nous présente le projet pédagogique qu’il a concocté pour nous. Les disciples  et élèves, au nombre d’une dizaine, se tiennent à proximité, semblant distraits et absents, mais en réalité,  buvant ses paroles. L’entrainement à la chinoise est ainsi conçu que les élèves écoutent, puis vont pratiquer seuls de leur coté, revenant  voir le Maitre pour se réajuster, se faire corriger. Manu est aux manettes, à la traduction, fidèle, disponible et efficace. WSW  désire que nous soyons en mesure d’utiliser les diverses techniques de déplacement et de frappe qu’il compte nous faire travailler tout au long de ce séjour .Il déclare aussi ne pas vouloir passer trop de temps sur les postures, qu’il estime que nous connaissons déjà,  qu’il corrigera ca et là, au gré des plages libres. Il insiste, en préambule sur quelques  points, qui constitueront la trame des huit heures quotidiennes de pratique de ce séjour, puis du suivant, dont la destination demeure inconnue.

25-09-2010- Insistance sur des notions techniques primordiales

Je retiendrai de ce séjour dans le Shan Tong qu’il convient de travailler les postures, quelle qu’elles soient, en position basse, fléchie de manière à solliciter le plus possible les plis de l’aine, (kua), démarche selon lui primordiale et basique. Ensuite, il faut nous efforcer d’unir le haut et le bas du corps, de manière à ce qu’il n’y ait pas de scissions et que la force, ou énergie y circule librement afin de le mobiliser comme étant un seul muscle . Puis, travailler quoique l’on fasse (posture, essais de force, explosion de force, déplacement, pousse main ou combat, avec le YI, ou intention, afin de charger son geste de présence  tout en visualisant l’adversaire. Enfin, le maître insiste sur l’extrême importance du travail en triangle, selon le déplacement « santiaobu », porteur potentiel de toutes les techniques possibles, tout en visualisant la position d’un adversaire imaginaire. Ce type de déplacement a ceci d’important qu’il permet d’ouvrir des angles dans l’approche de la garde de l’adversaire, ou en l’approchant de si près que tout devient alors possible .Ceci a l’air simple à comprendre. Le réussir est d’un autre ressort.

Deuxième entrainement : Focus sur le tui shou

Nous travaillons longuement le tui shou (pousse main)  à une main, avec chacun des assistants chinois du maitre. Mon premier partenaire n’est autre que Tian Nan, le deuxième assistant. Il a dû prendre une dizaine de kilos depuis l’an passé, et son contact n’en est que plus préjudiciable pour autrui : son niveau excelle, aussi bien en puissance qu’en finesse, et je me sens quelque  peu découragé d’avoir tant de retard sur une personne n’ayant que cinq ans de pratique. Nous terminons souvent les séances par des séries sur place de Zhai shui, soit la technique de poing écrasant dont WSW nous fait quelques  démonstrations et applications, dont le pauvre Dario, privilégié par sa stature athlétique deviendra, tout au long du stage, le récipiendaire universel et systématique.

Pourtant, WSW contrôle ses puissants coups. Mais même lorsqu’il  frappe sur son méga premier assistant, Huang Po, (110 kg), celui-ci effectue plusieurs mètres en arrière, titubant sous le choc Il ne s’agit pas d’un déploiement de violence, mais d’un coup porté de façon à rassembler en un seul instant et sur un même point, toutes les forces potentielles du corps. C’est en voyant cela que je me conforte dans l’idée selon laquelle il est impensable de pratiquer avec de tels adeptes des exercices de combat libre.

Troisième entrainement : Les techniques de poing en déplacement.

Chaque matin, Nous nous retrouvons, les uns après les autres, au gré de notre temps choisi de repos sur la placette ou WSW fait travailler un de ses assistants avec beaucoup d’implication. Malgré notre intention affichée de discrétion et de distance liée au respect de ce qui pourrait constituer la confidentialité d’une transmission spécifique,  il nous invite pourtant  à les rejoindre, puis, à nous installer dans une posture de notre choix. Puis, il se lance, comme au début de tous ses cours, dans de longues explications traduites par Manu. Nous apprenons ainsi que la posture ne sert à rien en tant que telle pour le combat, si elle n’est pas agrémentée de la capacité de se bien déplacer, notamment selon la technique en triangle de San tiao bu, qui permet cette approche oblique de l’adversaire. Il émet la même opinion à propos des shi li (essai de force), puis de toutes les techniques en général, notamment  celles  de poing qu il  nous demande d’exécuter en effectuant des petits  fa li (explosion de force)  avec son. Il recommande d’expirer du tréfonds de notre abdomen, sans pour autant crier et forcer la voix. Plusieurs de ses élèves effectuent une démonstration saisissante d’enchainement de techniques variées, avec fa li, qui me donnent à nouveau à penser que le chemin est encore plus long que je ne l’avais pressenti pour parvenir à accéder à un niveau pour le moins décent. Puis WSW, directif mais obéi  à la lettre sans discussion, invite tous les chinois présents à donner un aperçu de son art respectif.

Démonstration des maîtres chinois

Le premier à passer, Li Yun Long, maitre de Tombei chuan, la cinquantaine banale, en vêtement de ville, comme tous les autres chinois présents,  nous fait une démonstration brillante de frappes en déplacement, puis un autre enchainement libre avec un crochet attaché au bout d’une ficelle, un peu à la manière du nunchaku.  Sa maitrise est stupéfiante. Le maitre de lutte chinoise,  puis les deux nouveaux venus, exécutent à leur tour des enchainements, dont certains, me semble t’il, de Hsing Yi chuan et peut être de Pakua. Manu lui, est en mesure d’identifier tous ces styles, sans coup férir !!  Le maitre de tai chi exécute alors son enchainement de Wu Dang avec une légèreté et une disponibilité corporelle contrastant avec la force d’esprit et de Yi qui s’en dégage. Il ressort de ces démonstrations que la détente et la disponibilité dans la mobilité constituent, pour illustrer le propos de Shang Wen, le facteur principal de l’art interne, quelle que soit sa forme ou son école. Shang Wen conclue cet entrainement important par des propos à la fois rassurants et inquiétants, selon lesquels il estime que l’art martial chinois interne  ne comporte  absolument aucun secret, que seul le travail individuel répétitif paye sur le long terme, selon une permanente volonté de se réajuster par une écoute logique du fonctionnement biomécanique de son propre corps. Même si c’est au prix  de laisser de coté tout aspect ludique ou tout repère compétitif susceptible, croit on, de baliser notre progression. Il nous rappelle, avant de nous faire comprendre que le tui shou, (pousse main)  n’existe  que dans l’objectif d’étalonner  notre progression, en évaluant notre propre force sur celle de l’adversaire, ce qui selon lui remplace avantageusement et économiquement les confrontations guerrières  traumatisantes, stériles et invalidantes, surtout à un âge avancé. Au cours de ces exercices mal contrôlés, il n’est pas possible d’exprimer  d’une manière spontanée l’entièreté et l’étendue de possibilités d’évacuer nos sorties de force  (fa li). La raison en est que le débat est faussé par des conventions sportives et des limites sociales.

Les entrainements à la chinoise sont, ainsi fait qu’ils autorisent tout un chacun à pratiquer selon la fréquence et l’intensité à laquelle il le désire. Je choisis pour ma part de faire le maximum d’exercices, en sollicitant auprès de Shang Wen ou des ses deux assistants critiques, conseils et corrections qu’ils me délivrent avec un empressement qui me fait regretter de ne pas être venus les voir plus tôt. Le repas du soir est pris  au sein de notre rotonde privative dans l’ambiance cordiale et plutôt rigolarde d’un groupe qui a plaisir à cohabiter. Une once d’inquiétude envahit toutefois le groupe selon de propos alarmistes de Manu : Il se murmure que nous quitterions  très prochainement  ce lieu paradisiaque, pour rallier une destination lointaine encore indéfinie, plus au sud. Pourquoi ? Nous somme si bien, ici !

Quatrième entraînement.

Celui-ci  commence par un discours théorique, portant cette fois sur la prépondérance de la réussite des déplacements dans un combat. Le Maitre nous propose des séries d’aller retour tout d’abord très linéaire, avec une des techniques de poing, que nous choisissons. Ses assistants viennent nous aider, passant de l’un à l’autre, commentant notre travail par des mimiques, des moues  grimaçantes, ou, selon,  des pouces levés avec enthousiasme. Je sélectionne le coup de poing circulaire,  crochet  ou  chuan Xue,  que WSW s’empresse de venir rectifier radicalement, me le faisant exécuter selon une ouverture préalable du bras avant sur un pas glissé, puis d’une amenée du buste très circulaire  pour frapper de l’autre bras, à la façon de Zai- shui,.avec ramené concomitant de la jambe arrière.

Je note ainsi qu’il est préférable de travailler les techniques  de coups de poing en bras  opposé à la jambe avancée lorsqu’on se déplace avec un pas glissé, et en jambe et bras coordonné sur pas marché lorsqu’on recule. Pour ce qui concerne la manière de fermer le poing, WSW nous recommande de procéder comme si tenait un oisillon, sans serrer les phalanges, le pouce posé sans dureté sur la première phalange reliée. Percevant notre doute quant à la  force de percussion potentielle avec un poing ainsi fermé, WSW nous démontre sa pourtant probante efficacité sur son sac de frappe favori, sans  trop appuyer ses coups, Dario accuse le coup mais pourra ainsi se targuer de posséder un autre hématome qui fera stéréo avec celui de la veille.

Pour ce qui est de  Zhuan chuan, ou coup de poing remontant, ou uppercut, il convient de créer une force contraire (tenségrité) en la remontant du « kua », (pli de l’aine), qui lui, au contraire emmène notre buste vers le bas et en arrière. Cet exercice doit être pratiqué jusqu’à ce la sensation adéquate s’installe, logiquement, insidieusement, d’elle-même selon, dit il,  la grande logique du corps. C’est ainsi que le coup de poing droit, zhi chuan, doit lui être compensé par le tiré concomitant  du bras arrière, avec son poing en protection sur la ligne de centre. Le coup avec la paume, ou Pi chuan, peut s’effectuer de manière droite ou de manière circulaire, selon la protection ou la position de l’adversaire   .

Cinquième entrainement

L’entrainement de l’après midi, est rempli  par une longue séance individuelle, puis par deux, mais à distance,  de Pakua, au cours de la quelle WSW nous enseigne que la principale erreur effectué lors de l’accomplissement de cet exercice consiste à bouger les mains, alors que c’est le tronc qui les porte et leur donne la force de déracinement recherchée. Le buste, ainsi porté par la fermeté et la lourdeur, mais aussi la justesse en écart et en rythme des pas circulaires, confère aux mains  une énergie transposable lors des retournements et des changements de direction, au cours desquels il est également hors de question de bouger les bras et les mains. WSW  nous dit son étonnement au vu de la manière dont je la pratique avec mes deux élèves, bras en contact.

Sixième entraînement

L’entrainement réunit à nouveau tout le monde, délégation française et délégation chinoise. Nous consacrons la matinée à l’étude de tous les différents coups de poing (chuan fa), avec ou sans explosion de force. Les chinois nous corrigent avec implication. WSW se multiplie, rectifiant nos postures, nos mains, notre coordination, notre déplacement, notre rythme, notre force, s’adressant à nous en mandarin, mais avec des mimiques  explicites, sous tendues par  une volonté de communication qui nous permettent de le comprendre.. Nous A 11 h 30, il nous  nous demandé de vite préparer nos bagages pour un départ  vers une nouvelle destination lointaine, programmé vers 15 h 00, après le repas.  Nous allons reprendre un train de nuit en direction de la province   du Zhejiang, plus au sud, proche de l’enclave provinciale de Shanghai, où nous nous trouvions déjà lors du voyage de 2009. Les informations nous sont délivrées au compte goutte par Manu, que je sens embarrassé au plus haut point. En effet, il est lui aussi on ne peut plus conscient de notre état de  fatigue, De plus,  nous nous sentons bien  dans cet endroit qui semble convenir à tous., avec sa possibilité de nous poser, mais aussi de nous y reposer. Or, dix nouvelles  heures spartiates  de train de nuit  nous sont encore annoncées  dans le but obscur de rallier une destination assez indéfinie.

La saga ferroviaire

C’est à partir de là que va  débuter une des sagas parmi  les plus pénibles des tous les voyages qu’il m’a été donné de faire depuis mon plus jeûne âge, tous continents et tous pays confondus. Nous voici installés, à la force des coudes et des épaules dans une foule compacte,  dans un compartiment  ouvert sur le couloir, nanti de deux rangées de trois couchettes superposées.. Nous sommes sensés rallier Hangzhou, notre prochaine destination à maintenant douze heures de voyage, chaque nouvelle précision de Jian Nan comportant un allongement subit du temps de parcours. De cette ville, un minibus nous récupèrera pour rejoindre notre destination finale, soit le monastère taoïste situé dans la montagne, au dessus de Hangzhou, déjà visité l’an passé.  C’est là que  nous serons hébergés,  ou nous nous entrainerons, cet endroit recelant  de nombreux coins idéaux pour pratiquer dans la nature, en un lieu calme de culte.

Mais à  la question de savoir pourquoi ce retour en cet endroit aussi lointain, alors que nous subissons encore la fatigue du décalage horaire, du voyage, alors que  nous avions pris nos marques dans le Chantoung, il ne fut jamais donné d’explications rationnelles. Fut vaguement évoqué une nouvelle responsabilité de Jian Nian à la tête d ‘une école d’Arts martiaux, précisément au sein de ce temple. Mais fi de supputations, le train d’ébranlait ! Nous voici installés maintenant dans le wagon restaurant, ou la propreté est douteuse. Pour la première fois, je laisserai l’entièreté du contenu du repas fruste et peu appétissant qui nous est servi dans un plateau inox  de cantine, garni de brisures de riz pour chiens entourées d’un peu de poisson  à la sauce moins piquante que ses arêtes. La discussion alimente ceux qui ne le sont pas ….

Jian Nan est introuvable après sa dernière annonce de maintenant quatorze heures de voyage. Un violent incident frisant l’affrontement physique, oppose le contrôleur à un voyageur, accusé, semble t’il, de se déplacer sans billet. Ce dernier se défend véhémentement, expliquant qu’il l’a acheté à la sauvette en toute bonne foi. Il sera frappé et débarqué manu militari en rase campagne, à la chinoise, sans pitié et sans compassion. La nuit est venue, nous avons  beaucoup de mal à  dormir dans cet espace confiné, sans possibilité d’ouvrir les vitres. De nombreux chinois  fument, concentrés autour de toilettes très vite pleines à ras -bord. D’autres ronflent comme des sonneurs entassés parfois à plusieurs sur une couchette. D’autres encore  bâfrent,  boivent et crachent  bruyamment, certains  hurlent au téléphone, sans apparemment affecter le moindre du monde le sommeil de ceux déjà assoupis. L’agitation, le peu d’espace nous amène au bord d’un état pré claustrophobique venant s’ajouter au décalage horaire, des dix heures de train de Pékin à Linzi, de la fatigue due à l’entrainement. La nuit est longue, blanche, agitée, épuisante, énervante !

28 septembre 2010.

Très tôt, le  matin, réunis autour des tablettes d’appui des compartiments, devant des brioches « éponges »insipides et des fruits achetés la veille, nous tentons de couper notre faim , d’étancher notre soif, sans boisson chaude,  d’occulter  notre fatigue, notre frustration et notre agacement par un humour par chacun alimenté, amenant  moult fous  rires nerveux collectifs. Fusent de toutes parts des plaisanteries en dessous d’une ceinture, laquelle demeure pour tous non soulagée depuis la veille, faute de toilettes suffisamment propres, ou même, accessibles. Faute de place et de temps suffisant, des  mamans font uriner leur enfant directement  sur la moquette des compartiments, sans autre forme de gêne.  Nous apprenons à froid, au réveil, avec la plus grande allégresse, que le voyage durera  en fait près de dix huit heures! .Nos lectures requièrent maintenant une  attention trop soutenue pour être encore nourrissantes, voire, distrayantes. Nos mots croisés ou fléchés, maux entrecroisés demeurent sans solutions . Nos conversations tombent petit à petit, nous faisant échouer vers un état de prostration collective frisant l’abandon. Heureusement, les quelques arrêts effectués voient davantage de chinois descendre que d’autres ne montent. L’espace s’en trouve élargi, certains d’entre nous  se rendormant même sur des couchettes dures vacantes. Nous n’avons pas même le loisir de nous distraire par le spectacle monocorde de la campagne chinoise, tant le paysage périurbain est uniforme ! La chef de train, jeune, volubile, pimpante,  intéressée par nos yuans,  vient nous proposer, sans doute au noir, hors service, toute sorte de gadgets électronique du dernier cri (pas celui qui tue, en tout cas) . Notre tortionnaire, Jian nan, est toujours porté disparu.  En fait il s’est retiré, à l’écart même des autres chinois, dans un autre compartiment, ou il s’est englouti dans le sommeil ! Le veinard ! Peut-être redoute t-il  des reproches ou des critiques, de la part de WSW, j’entends …

Beaucoup plus tard, Manu nous indiquera que nous venons de quitter  la dernière gare avant  Hangzhou. Il ne reste donc que quelques heures à endurer cette incarcération ferroviaire temps que nous ne parvenons pas à tuer, leur résistance venant par trop facilement à bout de ce qui n’est plus que notre velléité de pugnacité. Puis, le mi journée arrivant, la gare suivante étant annoncée. Nous nous ruons sur blousons et bagages pour nous placer au plus tôt,  dans le couloir, à la queue leu leu, au plus près de la sortie. C’est alors, qu’inexplicablement, le train s’arrête en rase campagne, sans qu’aucune information ne nous soit donnée. S’ensuit une Interminable attente muette, une incertitude totale, pire que celle d’avec notre SNCF pourtant coutumière du fait. Au bout d’un long quart d’heure, nous apprenons, par notre contrôleuse-brocanteuse,  que l’arrêt risque de durer : il nous est conseillé de nous réinstaller dans notre  geôle .Voilà bien la pire nouvelle qui pouvait nous être délivrée ! L’attente, insupportable, irritante, injuste,  durera ainsi deux longues heures supplémentaire, portant le total  de notre  détention ferroviaire  à près de vingt heures, presque sans dormir, sans  boissons chaudes, sans aller  ni faire de toilette, sans se changer, sans manger équilibré, sans véritable information sur le pourquoi de notre destination, le tout après une fatigue accumulée et non évacuée. L’épreuve est  rude !! Manu  en est  plus qu’ennuyé, car pris entre le chemin de fer et l’enclume. Il n’a d’autre souci que de faire connaitre aux chinois notre mécontentement. WSW vient lui-même nous dire qu’il découvre lui aussi tout cela, qu’il va se charger de remettre les pendules à l’heure avec qui de droit, étant lui même otage. Nous finissons par arriver à Hangzhou, l’énervement l’emportant sur la fatigue et le soulagement.

Nous sommes attendus par Jian, notre chauffeur de l’an passé, réquisitionné pour l’occasion, avec le même mini bus à huit places que lors de la campagne 2009. Il est environ quinze heures, et deux heures de trajet en voiture nous sont annoncés pour rallier le monastère, ou nous sommes attendus le soir même  pour une démonstration d’arts martiaux, dans la cadre de l’inauguration de l’école de Jian Nan. Voici donc  le pourquoi de tout cela !!  Nous reprenons un itinéraire  connu, à partir de Guangzhou, qui nous fait traverser, en rase campagne une magnifique plantation de milliers de bonzaïs, invention de torture végétale typiquement chinoise, et non pas nipponne. Nous arrivons  une demi- heure plus tard à un carrefour, ou la route à droite, celle du monastère, est barrée par des panneaux et des barrières. Des ouvriers nous  expliquent que  le passage est impraticable, qu’il nous faut apparemment faire un détour important pour contourner la montagne avant de rejoindre notre destination. La mesure est comble ! De plus, Manu est absent, occupé à réserver en ville  les billets du  retour à Pékin. Nous avons exigé  cette fois l’avion, à titre de précaution autant que de survie. Manu  y est  accompagné de notre tortionnaire qui  montrait profil bas à la sortie de la gare et lors de la répartition des chinois dans les trois voitures composant, avec le minibus, notre convoi. Une discussion  laborieuse mais pas très rieuse avec les chinois  me permet de comprendre en l’absence de notre interprète, que nous avons là un nouveau problème. Puis Manu et Jian Nan arrivent. Ce dernier va alors discuter brièvement,  en aparté avec un policier sorti du néant, venu illico  soutenir les ouvriers. Mais le barrage s’ouvre alors par miracle, le convoi s’ébranle en direction du monastère, c’est aussi sans doute cela, l’art de savoir faire des affaires avec les autorités . Puis, nous arrivons vers 17 h, épuisés, hébétés, rompus,  dans cette endroit  pourtant  féérique déjà décrit dans mon précédent récit lors de ma campagne 2009 (voir site www.atemimontdor.com, rubrique chroniques -chine 2009)

Je sais qu’il ne pourra y avoir d’entrainement aujourd’hui, car je vois bien que WSW lui aussi est épuisé. Cela me dérange quelque peu, car le temps nous est compté, mais cela me soulage tout autant, dans la mesure où je me sens incapable de faire un shi li ne serait ce qu’avec un auriculaire. L’endroit dans lequel  nous sommes installés semble calme, à l’écart du temps et de la civilisation, comme si nous étions dans la Chine médiévale, en pleine campagne, logés dans une  ferme- auberge, préservés de tout trafic motorisé, au sommet d’un chemin pierreux auquel il est difficile d’accéder en voiture. Une pagode antique en bois, à plusieurs étages jouxte notre hôtel. Tout semble s’arranger, mais, hélas, nous ne sommes pas au bout de nos surprises et de nos peines…

Nous dinons quasiment tout  de suite en arrivant dans la grande salle de restaurant du bas,, servis vite et bien  par un couple d’aubergistes à l’aspect  un peu mercantis, que nous surnommons immédiatement les « Thénardier », bien qu’ils ne se soient aux grand  jamais conduit      « misérablement » à notre égard. Leur fille est l’épouse de  Chen Huang Po et de son plus que quintal, le premier disciple du maitre, déjà rencontré l’an dernier. Ils ont même fait entre temps un adorable petit garçon avec lequel tous les chinois se promènent au bras, comme s’il était le neveu de tout  le monde. WSW semble lui aussi l’avoir pris en affection, montrant sans retenue son coté  humain.

Nous avons juste le temps de déposer nos bagages au premier étage, dans des chambres spacieuses à deux grands lits, confortables, mais sans salle de bain incorporées. Nous sommes immédiatement réquisitionnés pour assister à l’un des spectacles locaux d’opéra pour lesquels nous avons traversé la distance de presque deux fois la France, ou deux provinces chinoises Pis, pour une démonstration d’arts martiaux, mais externes !!

Notre nouveau lieu de séjour.

Le temple est agrémenté, dans l’immense domaine qui le compose, d’un théâtre, avec une scène surélevée. Nous nous installons, avec toute la délégation chinoise, sur des bancs en bois placés, en plein air,  en face de la scène. Un  nombre impressionnant d’énormes baffles, flanquant la scène de part et d’autres,  déversent une musique chinoise  laissant échapper des sons minaudant. La « musique » est assourdissante, insupportable, propre à défoncer les tympans les plus résistants. De nombreuses personnes majoritairement  âgées se sont installées sur les bancs, sortant de toutes parts pour rejoindre ce lieu confessionnel retiré. Un d’entre eux vient nous offrir du thé, d’autres passent avec des caisses pleines à ras bord de délicieux petits croquets au mais, dont ils  bourrent  nos  poches et nos  sacs en souriant, à notre corps défendant.

WSW est requis pour procéder à la présentation générale de l’école de Jian Nan. Il laisse ensuite la place à plusieurs enseignants ou élèves avancés locaux qui présentent,  non pas des formes de Da Cheng chuan, mais plutôt  des enchainements de tai chi, de Hsing Yi ou de Pakua,  soit les trois arts internes chinois. Quelques moines rattachés au temple, participent au spectacle, selon des prestations qui sont loin de me  convaincre car trop gymniques. Puis WSW revient pour effectuer une brève et symbolique démonstration de fa li, pour s’éclipser le plus rapidement possible. Enfin, les quatre experts de notre délégation, ainsi que les trois disciples de WSW  effectuent à leur tour une présentation de leur travail selon leur spécialité respective,  semblable à celle offerte dans le Shantoung, à mon sens beaucoup plus intéressante que celle des résidents. Je me permets ici de critiquer prétentieusement  la prime prestation faite par les jeunes élèves de l’école car il m’a semblé que leur travail n’incluait pas les dimensions internes propres à la pratique que nous étions tous venu cultiver par ce voyage. Les prestations de tai chi, notamment, ressemblant  fort à celles fédérales, proposées en France en compétition, avec des grands  écarts spectaculaires et des jambes  verticales maintenues plusieurs secondes  en direction du plafond. J’ai trouvé plus d’intérêt, sans doute de par l’aspect nouveauté, à leurs démonstrations d’armes chinoises. WSW ne se prive d’ailleurs pas de faire part de ce même type de critique à Manu.

Nous regagnons  nos chambres impatients,  épuisés, hâtifs de retrouver un vrai lit, dans la calme rural et apaisant de ce lieu retiré, après ce qui aura été la plus longue journée de ma vie. Mais de repos, il n’en sera hélas pas question ! En nous installant dans nos chambres respectives, nous constatons tout d’abord qu’il n’y a aucune serviette éponge, denrée que nous n’avons pas prévu d’apporter. Nous découvrons ensuite qu’il n’y aura qu’une seule douche  faiblarde pour tout  le monde, dispensant autant d’eau chaude  qu’un frigo en hiver au pole nord. Le lavabo du couloir, nanti  de deux robinets capricieux ne tient au mur que sur l’inspiration des immortels du taôisme, grâce à quelques  fils de fer de fortune,  menaçant de s’écrouler sur nos pieds. Quant aux toilettes,  encore à la turque,  il n’y figure pas de papier et leur odeur, comparable à celle du train que nous avons quitté avec hâte, emplit d’ores et déjà l’étage. Une fois couchés, nous subissons immédiatement de nouveaux désagréments. Les matelas, recouverts  d’une natte en bambou  s’avèrent être d’une dureté surprenante, impropre, par exemple à dormir sur le coté. Ensuite, la nuit avançant, nous devons patiemment attendre la fin des allées et venues des chinois répartis dans les chambres voisines. Ces derniers, peu pressés semble t’il de dormir, se rendent visite d’une chambre à l’autre, claquant violement les portes, se raclant bruyamment la gorge  pour cracher là ou ils sont, vociférant comme s’ils s’engueulaient  allant, venant, jusqu’à une heure avancée de la nuit. Ne sont ils donc jamais fatigués, eux qui ont subi les mêmes tourments que nous ?

La mesure  est comble ! Crois-je ! Je  sais d’expérience, de par mon sommeil léger,  que je vais peu dormir tout au long du séjour, le manque total  d’isolation  du bâtiment répercutant le moindre pet dans des proportions décuplées. Mais il nous reste encore  beaucoup à découvrir. Un mauvais sommeil superficiel a fini par avoir raison de nous.

Nous sommes presque tous rattrapés par le décalage horaire vers trois heures du matin. Vouloir se rendormir, c’est  sans compter  sur les  trois chiens des Thénardier qui entreprennent  un concert  exaspérant d’aboiements interminables rebondissant sur les carreaux mal isolés de la salle carrelée  du bas.  Le matin venu, exaspéré, je dois sacrifier une de mes chaussures pour ajuster l’un deux. Je le rate lamentablement, n’atteignant que le  seul des trois pacifiquement  occupé à se lécher une patte  dans un coin. Sa cavalcade et ses couinements ont le mérite de faire fuir les autres, que nous n’entendrons plus jusqu’au matin. C’est vers quatre heures que le troupeau de coqs de la basse cour, située juste au dessous de  notre chambre,  initient leur concert interminable, répondant à l’ensemble de l’élevage de paons, sans oublier toutes les  bestioles plumeuses de leur acabit situées dans des endroits plus éloignés, mais dont nous percevons les caquètements comme s’ils étaient à cinq mètres. De temps en temps, un chinois sort de sa tanière pour aller faire ses besoins, non sans éructer violement, claquant deux fois sa porte, à la sortie  comme à l’entrée, sans oublier celle des toilettes. Puis vers six heures, les Thénardier  démarrent leur service par le tintamarresque balayage de la salle et des proches escaliers, heurtant sans cesse de leur balai, bancs, tables et chaises contra le carreau. Il en sera de même  la nuit suivante, puis celles d’après !! L’entrainement de demain risque d’être dur !!

Mercredi 29 septembre.

Il pleut !! Il fait toutefois doux et l’atmosphère est  fraiche et agréable, propice à des apprenants frais et dispos, en pleine  possession de leurs moyens. J’ai retrouvé ma chaussure trempée, au beau milieu de la cour, dont une semelle a été dévorée par les chiens, revanchards. Ils  se tiennent à distance respectable, sans doute à la perspective de recevoir sur la truffe, la seconde, entière. Nous nous retrouvons, après un petit déjeuner au réfectoire du monastère, face à un repas fait de boules de pain et de soupe de pâtes le réfectoire se trouve dans une salle isolée, semble t-il de conférence, dans un des nombreux bâtiments ancien en pierre composant le monastère. Une proche descente d’escaliers centenaires débouchant sur une place pavée bordée d’arbres  exotiques donne un air solennel d’un autre temps à cet endroit. Nos entrainements y auront lieu.

6e entrainement

Nous sommes  tous rassemblés en cercle, debout autour du maitre, qui se lance dans une longue explication passionnée. Selon lui, la pratique de l’art martial interne chinois ne peut en aucun cas se résumer à l’assimilation gestuelle de techniques, si riches soient elles. Ainsi le fait de parvenir à bien pratiquer les postures, j’entends selon un niveau satisfaisant, ou les déplacements, ou les pousse mains, ne doit pas constituer une fin en soi. WSW insiste lourdement et semble t’il sincèrement sur le fait qu’aucune de ces techniques, ou pratique en général  n’est sous tendue par quelque secret que cela soit, secrets qui ne seraient détenus et occultés que par une minorité initiée . Il nous répète, à cet effet, comme il l’avait fait l’an dernier, que les résultats ne s’obtiennent que sur la base d’un travail régulier, quotidien, consistant à écouter les variations et modulations dans notre corps. Il estime donc que la majorité  des adeptes a toujours  tendance à chercher des explications  bien trop complexes,  détonant avec une  pratique somme toute simple, comme une invisible lumière pourtant située juste sous notre œil.



Selon lui, si tous ces exercices ne sont pas habités, investis par un constant soin de volonté de relier le haut et le bas du corps, d’émettre une intention (Yi) imprégnant en globalité  toutes ses composantes lors de notre entraînement, nous ne parviendrons pas à un résultat probant susceptible de satisfaire les objectifs et principe de cet art dit suprême. Nous retomberions alors dans l’apprentissage de formes, comme cela se fait dans la plupart des sports de combat. Le haut et le bas du corps doivent être reliés , tout comme la pliure des coudes doit être intimement reliée à celle des plis de l’aine  (Kua ), selon un équilibre subtil et personnel, que seule une longue pratique  individuelle de posture , quelle qu’elle soit, peut nous faire ressentir. Ces deux pôles essentiels, coudes et aines,  doivent également être reliés, comme par des élastiques invisibles, aux genoux et à la zone sternale, communiquant  ainsi étroitement  avec  celle lombaire, conférant à l’ensemble du corps une capacité de mobilité interférente et interactive, adaptable selon l’équilibre conférée par le principe des forces contraires, ou tenségrité.

L’intention, la présence doit constamment habiter notre gestuelle, notre forme,  comme si notre cerveau était un distributeur automatique de carburant  chaud s’ épandant  dans les circuits de notre buste que nous avons rendu disponibles  par notre relâchement, débroussailleur de nos tensions , puis dans les circuits de nos  jambes et de nos bras, de nos mains, de nos doigts, destination finale de notre intention.

Nous devons ainsi être en constante  création d’une  perpétuelle mobilité multidirectionnelle, assurée par la disponibilité de notre axe vertébral, ainsi libéré des tensions qui  entravent sa sensibilité, amoindrissent sa fonctionnalité, réduisant ainsi notre champ d’action autant physique que mental, les deux étant bien entendu étroitement liés. Mais ceci n’est pas suffisant. WSW explique que même si nous sommes parvenus à un degré  technique s’ajoutant à une capacité d’émission de Yi également satisfaisante, cela ne servira à rien si tout cela n’est pas porté par une capacité de déplacement pertinente. Il insiste donc sur l’extrême importance de tous les types de travaux de déplacement, qu’ils soient linéaires, en triangle ou en cercle.  Lorsqu’il évoque le déplacement, je crois comprendre que WSW évoque également, et en premier lieu,  le déplacement  propre à l’intérieur de  notre corps,  qui s’effectue préalablement à tout déplacement externe. Je veux dire  par là qu’il convient de toujours avoir à l’esprit, dans l’intention, la capacité de visualiser son buste comme étant habité, comme étant percé de haut en bas, de bai hui (sommet du crane à hui yin (entrée de la terre ou périnée, ) par un axe transversal autour duquel s’harmonise toute velléité ou intention gestuelle ou ambulatoire, afin de conférer justesse et équilibre à toute intention de technique ou de déplacement, ou de technique en déplacement.

L’image la plus pertinente semble être celle d‘un gond central bien huilé, qui permet et favorise le coulissage sans effort de toutes les parties interférentes et interactives  du corps. Le déplacement doit nous amener à rentrer dans l’intention de l’adversaire, en réduisant la distance et en se rapprochant au maximum de lui, mais selon une situation dans laquelle nous ne sommes pas vulnérables, et où, lui le devient, car il s’agit de le déraciner, de l’éjecter, de prendre sa place, de se mettre dans ses pas, de l’écraser, de l’anéantir.

Jian Wu, La pratique de danse martiale qui conditionne la compréhension de cet objectif s’avère être hautement riche en potentialité de progression par l’auto- créativité, puisqu’elle nous amène à nous retrouver face à nous même, face à notre spontanéité, sans support mnémonique conférée par le soutien d’un enchainement appris par cœur, mettant ainsi l’accent sur nos inhibitions, nos lacunes, nos blocages, nos insuffisances , nos doutes et nos incertitudes, reflétant ainsi notre véritable niveau .

Shi li de la tortue

Ce matin là, WSW nous demande de mettre l’accent sur la pratique appuyée de l’essai de force de la tortue,  exercice qu’il m’avait empêché de faire l’an passé, me demandant de commencer par bien pratiquer  ceux, selon lui plus simples. Il estime qu’il  est en mesure d’évaluer le niveau de l’élève à sa seule capacité de ne pas bouger les bras lors de l’exécution de cet exercice. Il consiste à travailler le buste selon une rotation en huit d’avant en arrière, incluant haut et bas, mais aussi droite gauche   en descendant au plus bas sur les jambes, comme si on effectuait des esquives , le tout avec les bras placés de telle façon que les  paumes des mains et les avants  bras se trouvent parallèles au sol, mais sans  bouger. Cette pratique est épuisante, un peu traumatisante pour des genoux rafistolés et ayant déjà bien servi! Mais elle très enrichissante au niveau de la capacité de mobilité du buste lors des esquives, ainsi que d’une sortie concomitante sans appel de force lors de l’émission de coups, droits ou circulaires, ou utres.

7e entrainement

Le Maitre, entouré de son aréopage  attentif, entame cet entrainement par une petite mise au point inhérente à la longueur de temps de posture, sujet qui semble l’avoir titillé lors des discussions de la  veille. Il explique d’une manière somme toute logique, que lorsqu’il y a confrontation, il n’est pas question de demeurer sur la même jambe, tant les conséquences du danger nécessitent une vigilance mobile. Le travail  accumulatif préparatoire de posture  peut alors donc fort bien se concevoir de la même façon en changeant de posture souvent, mais tout en conservant à l’esprit une recherche de qualité de pratique, sans concessions quant à l’application de ses principes de base.

L’après midi est consacré à une vaste répétition de toutes les  techniques abordées depuis le début du stage, avec un accent sur les essais de force ( shi li)  en déplacement, particulièrement celui de la vague pour lequel il me semble que la coordination déplacement des jambes  -mouvement de bras est plus ardu que dans les deux autres.

Les repas sont pris auprès des moines taoïstes, sobres, venues se sustenter après leur journée de célébration de rites, leurs lectures, ou leurs  recherches. La nourriture est exclusivement végétarienne, épicée, basée sur riz, légumes  variés et soja. A la fin des repas, chacun doit pré laver son assiette avant de la déposer dans un grand évier ou un préposé au regard attentif a pour tache de les rendre rutilantes. Je suis stupéfait par la présence, en ce lieu de recueillement et de réserve, d’un énorme téléviseur devant lequel tous semblent scotchés, dévorant des yeux des plages  publicitaires, ou captivés par les dialogues débiles des séries américaines. Tout cela me semblant violer la paix et la dignité sensée émaner de ce lieu.

Lors de la seconde nuit, alors que Manu et moi sommes en pleine discussion à propos de notre inconfort,   le vacarme devient effroyable entre les prémisses d’une fête, les chinois, la basse cour et les chiens. Quand je pense que les paons vont bientôt se   joindre à cette cacophonie !   Quelqu’un frappe à la porte,  puis entre,  sans autre forme d’invitation. Il s’agit de, notre bruyant voisin de chambre, vociférateur et à travers, racleur de gorge, tenancier de crachoir et accessoirement, maitre de Tombei chuan entre  autres arts internes dont  le nom échappe même à Manu. Il désire sympathiser, renforcer les liens. Il  s’engage, debout, gesticulant d’importance,  dans une discours véhément et  passionné avec Manu, lequel enthousiaste, en oublie sa fatigue.  Le sens m’en échappe, outre le fait qu’ils parlent bien évidement pousse mains et arts martiaux. Manu semble tout excité lorsqu’il me fait savoir, lors d’une accalmie, que  ce maitre posséderait un  vieux film  de Wang Xiang Zai lui même. Qu’il  est invité à le voir lors de son prochain voyage à Pékin !!  Li Yun Long, tel est son nom, invite alors tout de go  Manu à un pousse main debout entre les lits, tui shou  ressemblant fort  au troisième à deux mains que je pratique depuis longtemps, mais pas exactement dans le même sens, sans toutefois qu’il me soit possible d’en déceler objectivement la différence. Ce qui ne manque pas de me contrarier : cela va trop vite ! j’observe que le contact est léger, cursif, mais que les mains semblent prégnantes, pressantes et présentes…l’échange est vif, puis tout à coup, Manu décolle de terre à l’horizontale pour  venir atterrir pesamment à plat sur son lit, sans qu’aucun geste de débordement, sans qu’aucune accélération  apparente ou violence n’ait  été effectuée par le chinois.

Désireux de comprendre comment cela a pu se dérouler, je sollicite à mon tour un pousse main, sans comprendre que mon partenaire perçoit peut -être cette requête comme un défi, en tout cas comme un test. Le contact est plus que volatile, presque  agréable,  répétitif, comme un enroulement. Puis tout à coup, je décolle à mon tour du sol, de par une subtile pression d’un de ses bras, à l’extérieur de mon coude, mettant profit un  déséquilibre passager provoqué. Je résiste alors,  selon ce que qui m’a été enseigné, en baissant sur les jambes en vidant ma poitrine, et en ouvrant davantage la zone lombaire.  Mon coude se trouve alors pris  dans un étau duquel je n’ai pas la capacité de me sortir. Je dois demander grâce en frappant sur ses cuisses du plat de la main pour qu’il cesse sa prise, les ligaments de mon coude commençant à craquer  sinistrement sans pour autant que cela ait l’air de l’émouvoir. Je crois que je suis passé très prés d’un arrachement ligamentaire. L’avant bras me fera souffrir toute la nuit, douleur dont j’aurai tout le loisir de me soucier, au vu du tintamarre en préparation. Ce séjour devient  mouvementé …il s’ « articule »  dangereusement !

Jeudi 30 septembre 2010.

Il pleut …l’atmosphère est maussade Je tourne le dos à l’auberge. Le paysage qui s’offre à mes yeux pourrait aussi bien dater de l’antiquité chinoise. Le temple ancien, entièrement construit  en bois, situé en face de nos chambres  n’apparait qu’à demi  dans la brume   , le rendant aussi  diaphane et irréel que ceux espérés  dans mes vieux rêves d ‘orient. Le ruissellement de l’eau sur les feuilles des arbres, puis, par ricochet sur le sol, constitue  le seul bruit ambiant de ce matin calme comme le pays du voisin même nom.  Il est tôt … je suis seul……..le moment est propice à la réflexion. J’entends par là , à l’introspection, ou ne serait ce pas plutôt le vagabondage de la pensée sur les actes passés irrémédiables de notre vie, qui conditionneront ceux à venir, après avoir été concoctés dans un présent plus que volatile, au gré de la fuite regrettable et regrettée  des aiguilles de l’horloge du temps ?

Je me dis alors que je vis là, malgré ces avatars organisationnels, des moments inoubliables, exceptionnels, que bien peu de gens ont la possibilité de vivre. Outre le  multiples paysages pittoresques que recèle à perte de vue le domaine de ce  temple, outre ces multiples rencontres bigarrées , ces situations cocasses, ce matin chinois  me met en face de celui que j’ai été , que je  suis devenu, m’éloignant de celui que je croyais être ou aurais voulu devenir tentant vainement d’apercevoir celui que je suis réellement…réellement ?

Ma pensée glisse ainsi insidieusement de la pale liberté du corps par rapport à celle de l’esprit. Elle navigue inconsidérément de  l’influence des prégnants conditionnements éducatifs et  sociaux qui nous façonnent en nous dénaturant,  non sans oblitérer les ornières laissées  par nos  doutes successifs. Puis, voltigeant  de notre immortelle tension hédoniste aux  difficiles démarches qu’exige l’accès et le maintien de notre conception du bonheur , elle s’appesantit sur la conscience du plaisir que procure le fait d’être maitre de son temps, J’aboutis à nouveau en une pluvieuse et surprenante réalité….« La vie est un jaillissement d’imprévisibles nouveautés « (Bergson).

Une jeune femme, ravissante, trempée, immobile, se tient, là, debout, derrière un des arbres de la cour semblant attendre. Je ne l’avais pas vue, tant elle a voulu demeurer discrète et effacée. Elle est demeurée  sous la pluie, stoïquement. La voyant,  je n’outrepasse pas sa   réserve,  en cela aidé par la barrière du jardin, mais surtout  celle de la langue. Hormis un « ni hao » (bonjour)  conventionnel, auquel elle répond avec encore davantage de retenue, nul autre palabre n’est échangée jusqu’à l’arrivée des chinois ; L’apercevant, ils  vont aussitôt  lui parler non sans me semble t-il, quelque rudesse et quelque familiarité. Manu m’expliquera que cette jeune personne, adepte avancée de tai-chi, a appris que le maitres de l’école dont elle fait partie  se trouvait dans sa région, elle est donc venu, dès cinq heures le matin, soit bien avant que  je ne n’apparaisse moi-même, pour solliciter la possibilité d’obtenir une leçon particulière .Je ne connais pas beaucoup d’occidentaux qui auraient enduré une telle démarche ! Le cours aura lieu sous nos yeux, pendant notre propre entrainement de Yi chuan, chaque matin jusqu’à notre départ. L’enchainement abordé est celui que cet expert nous a déjà présenté deux fois, que je trouve irrésistiblement  attractif Mais après l’épisode du Chen cet été en Espagne, je ne trouve ni judicieux, ni plus encore  raisonnable d’accumuler de  nouveaux apprentissages de formes  !! (Voir notes de stage de tai chi de Chen aout 2010 Pampelune).

Lors d’une pose, l’expert en question sollicite de ma part l’exécution de mon tai-chi. Manifestement interloqué par cette forme peu connue en Chine, car essentiellement répandue à Taiwan et au Japon, ses sourcils se froncent. Il me fait comprendre qu’il estime que je mets trop d’épaule dans mon travail puis exécute lui-même son enchainement, m’indiquant ainsi, comme le font tous les chinois, que seul ce qu’il connait est bon.

8e entrainement – De la prépondérance de mucabu

Wang Shang wen nous demande ce matin là, de 8h 30 à  environ 11h30, un travail intensif consistant à balayer les techniques déjà visitées ; je sens bien que s’il le pouvait, il s’installerait dans notre tète pour nous aider à apprendre à habiller notre gestuelle d’intention ( Yi ) ; mais tous autant que nous sommes, j’estime sans doute à juste titre que nous sommes trop  attachés à parfaire les formes qui nous sont montrées au détriment d’un travail  de fond que la  barrière non pas du jardin cette fois, mais essentiellement  celle de la  langue nous empêche d’intégrer ; je suis même persuadé que mes quarante années de pratique frénétique  de katas japonais et de tao chinois compliquent déjà l’approche d’ un apprentissage déjà ardu, de par la prégnance qu’on délaissée  l’intégration  de formes standards et figées ,  la manière d’apprendre ou de vouloir apprendre s’en trouvant ainsi conditionnée. WSW insiste à nouveau sur l’essentiel travail de mucabu ou marche attentive, selon laquelle le rôle des plis de l’aine (kua) s’avèrent  capital, puisqu’ils constituent le lien, le joint  entre le tronc et les jambes ; la lenteur autorise ainsi le ressenti de la libération à partir du tronc, de la jambe arrière qui peut ainsi, selon un pas glissé allégé, se poser là ou la situation pugilistique exige qu’elle se pose.

Il explique également que lors de l’avancée du buste il convient de ne pas se pencher trop sur l’avant, tout  en compensant avec un tiré arrière interne de l’axe vertébral, afin de créer un équilibre par une force contraire  implicite. Ce travail transposable dans toutes les techniques du Da Cheng  Chuan, et me semble t-il  des autres arts internes chinois, est une des constantes, qui selon certains, peut être considérée  comme un des fameux secrets évoqués. La base de toute action consiste à bouger à partir de l’intérieur du  buste ; l’esthétique et souvent, l’efficacité de chaque mouvement se base dans la capacité de puiser  le geste au fond du dos. Un dicton chinois, crois je,  dis à cet effet, « si ton geste n’est pas aussi beau que l’immobilité, alors ne bouge pas «  La séance se termine par une longue pratique de tuishou à deux mains, qui me permet, oh chance  ,de travailler près d’une demi-heure durant avec Lian Zhao, le plus jeune des disciples du maitre.

Tui shou avec Lin Zao

Le rideau de ses bras est souple et permanent ; dès que j’essaie de rentrer, en poussant, tirant, ou en désaxant, je me trouve confronté à une barrière en béton, qui poursuit  toutefois sa souple  mobilité investigatrice ;lui n’attaque pas, sans doute selon les consignes du maitre ; je retente de le bousculer, mais me heurte à nouveau à une défense imperméable, d’un niveau tel que je n’en ai jamais vu que chez les deux autres assistants , tout au long de mes 25 années de pratique d’arts internes ; j’ajoute, qu’à chacune de mes attaques ou poussées, il renvoie et rompt le collé  de mains pour me montrer que les diverses techniques de poing sont alors immédiatement transposables, et disponibles, ce qui ne vaut pas pour moi, tant je trouve le passage de l’un à l’autre pour lui  prévisible…, et décourageant !! .

La main tendue du Maître

Après un rapide déjeuner au réfectoire du monastère, en contrebas du plus grand des temples , déjeuner au cours duquel Manu semble se lier de sympathie avec quelques moines, nous montons nous allonger sur nos  couches  de béton privatives , lisant ou étendus dans une semi obscurité décidément bruyante , attendant l’heure de l’entrainement de l’après midi.  En redescendant quelque temps plus tard, je trouve, comme à l’accoutumé, les chinois assis dehors, devant l’entrée de l’auberge, autour d’une grand table en bois, occupés à lézarder, buvant du thé ou de la  bière, fumant bien entendu d’abondance, se passant de bras en bras le bébé de Chen Huang po .D’un geste de main large et accueillant  le maître m’invite à les rejoindre. Je tente un dialogue en mandarin. Malgré l’absence  provisoire de Manu se fait sentir, je parviens pourtant à échanger quelques bribes avec celui que je considère maintenant  comme un de mes guides. Je comprends, en plusieurs fois, qu’  il me dit qu’il estime que nous faisons  dorénavant partie de ses amis (pengyou) , dans la mesure ou nous sommes venus deux années consécutives de très loin  pour travailler sous sa direction ; je suis bien évidemment profondément touché par cette déclaration, sa chaleur venant  immédiatement cautériser la brulure du  vide béant laissé par l’échec de ma relation avec mon précédent Maitre mais je  ne peux toutefois  m’empêcher de me sentir gêné, tant le mot employé me semble prématuré et  fort , ne serait ce que de par mon niveau insuffisant, et le peu de temps somme toute, passé avec lui ; Je me dis alors que la portée des mots n’est  peut être pas la même dans l’empire du milieu,  que l’on y gagne peut être plus vite la confiance d’autrui que dans notre république de la  gauche du milieu. 

La notion de hiérarchie en Chine

En chine, il n’existe pas, ou pas cette hiérarchie basée sur les grades (dan, duan). La transmission s’effectue plutôt selon une filiation, une cooptation qui permet aux cooptés de recevoir l’enseignement d’un maitre selon les différents étapes qui la composent. La notion de transmission, en Chine,  semble donc davantage s’effectuer plutôt «  en famille », par filiation,  que selon la stricte  hiérarchie   basée sur la féodalité et la subordination, caractéristique de l’empire nippon. Ceci n’exclue en rien, comme au Pays du soleil levant, le très grand respect du et  porté au maitre, renforcée toutefois  par un sentiment  davantage filial à son égard qu’obséquieux. Je préfère, pour ma part cette manière d’aborder la transmission, son revers résidant   , au sein de certaines écoles, dans l’incontournable cérémonie du bai shi,  à laquelle j’ai choisi de ne pas participer à Milan, en mai dernier,  avec Wang Fu Lai, estimant qu’une prosternation devant une lignée d’entités et de portraits d’étrangers inconnus ne me paraissait ni sincère, ni  pertinente, surtout sur le sol européen.

La sincérité lisible dans les yeux de Wang Shang Wen  me laisse penser qu’il considère que je  fais au moins partie de ses  élèves, ce qui laisse penser que rien que pour cela, malgré l’atmosphère  carnavalesque ambiante , mon voyages est réussi .J’entends par là que si un jour, il m’est possible de revenir avec Marc, Patrick et Olivier, il les accueillera, et probablement, les adoptera , ce qui assurera  la continuité » de   ce que je considère comme mon quatrième  enfant… mon petit dojo « Atemi Mont d’or ».

Le chinois  occupant la  chambres voisine, maitres de Tombei chuan s’en va ; les adieux sont lourdement arrosés, ses cris sont plus  appuyés que d’habitude ; je me méfie en allant lui serrer la main, il pourrait m’agresser avec une clé de lever de coude ou  en m’allongeant «  une tord gnole » …. Il demande avec insistance à Manu de passer le voir à Pékin, afin qu’il puisse lui produire ce fameux vieux film ou figure Wang xiang zhai. Manu ne se fait pas prier et promet qu’il honorera cette invitation aussitôt que possible. Je ne m’en sens que super motivé pour l’entrainement,  qui démarre sous l’auvent.

9e entrainement.

Cette session s’avérera, pour ma part parmi les plus importantes,  dans la mesure où il y aborde le chapitre essentiel de l’état d’esprit dans le combat. WSW nous précise que lorsqu’on affronte un adversaire, quel qu’il soit, homme , femme, enfant, animal, vieux, jeune, gros , gras, petit, maigre, , musclé, chétif, malade, en bonne santé, excellent technicien, combattant redoutable ou paralytique en chaise roulante, cul de jatte ou Iron. man,  on doit tout d’abord et avant tout  affronter son état d’esprit, avant de raisonner « technique » On affronte donc « l’esprit «, l’intention (Yi)  , la détermination de l’adversaire, qui, au-delà de toutes notions techniques dites supérieure , ultimes, mortelles ou pas,  peut s’avérer déterminante dans l’issue de la confrontation, physique ou pas. C’est ainsi que des personne n’ayant jamais pratiqué d’art martial , dans la vie réservées, chétives et peureuses ,  vont parfois, selon certaines circonstances extrêmes, se placer dans un état mental  faisant appel insidieusement à leur instinct animal, susceptible de décupler brusquement  leur force de par l’accès à leur instinct de survie, situé dans le cerveau reptilien ;(voir le film américain , avec Dustin Hoffman, des années 1970, « les chiens de paille »).

C’est dans cette mesure que j’intègre définitivement la notion selon laquelle il s’agit de savoir de quel type  de combat l’on parle , lorsqu’on évoque les «  exercices de combat, libre «   ou le » combat libre » des salles de sport ou d’arts martiaux,  pratique pour lesquelles d’aucuns se déclarent , d’une manière autant arrogante qu’inconsciente, , intouchables  quand ce n’est pas invincibles . Les  japonais parlent,  à propos  de l’état d’esprit qu’évoque  Shang Wen  , celui,  animal,  inhérent à la  «force de la femme dans l’incendie», soit  la capacité innée immanente  d’un être en principe faible, brusquement capable, pour sauver ses enfants du feu, de déplacer des meubles lourds, de défoncer des portes , de les porter tous à la fois, sans ressentir ses propres brulures, sans se soucier du poids qu’ils confèrent, auquel elle n’aurait, en des circonstances normales , pas pu faire face. Les occidentaux nommeront ce phénomène l’ « énergie du désespoir », les chinois, comme le maitre fondateur du Da Chen Chang, évoqueront ainsi les ténèbres qui imprègnent  le combat,  selon lesquelles l’issue n’en est au grand  jamais dicté d’avance. Les échanges courtois , chevaleresques que nous  avons  au sein de notre association, dictés avant tout par le souci , lors d’un  échange mesuré et conventionnel  avec protections, de préserver l’intégrité physique de nos «  partenaires », n’en font en aucun cas des « adversaires », ce qui fait que lors d’une  vraie rixe à poings nus et à frappe réelle dans la rue ou ailleurs , il existe un immense décalage émotionnel qui entrave, selon un temps d’adaptation le plus souvent fatal , le déploiement de toutes les capacités techniques , voire internes accumulées tout au long  de milliers d’heures d’entrainement .

J’ajoute que le port des protections, finalement rassurant, s’il nous préserve de traumatismes externes probables, nous déconnecte petit à petit du  danger réel que confère un combat à frappe réelle, entravant ainsi notre capacité à atteindre l’ intention de sa propre survie et de la mort de l’autre, seules issues envisageables,  contenues dans le cerveau reptilien.  La promotion de notre néo cortex en tant qu’être pensant, responsable, raisonnable et civilisé, devient alors une entrave, un véritable handicap  à notre efficacité. Je suppose que mon ex -Maitre en était arrivé à des conclusions connexes , hélas pas toujours exprimées avec pédagogie, égard et diplomatie envers des élèves qu’il avait pourtant ainsi formaté,  et auxquels il reprochait , en fin de compte d’être nuls !!!Un maitre, n’a, en fin de compte, que les élèves qu’il mérite. A cet effet l’explosivité déployée par WSW et ses épigones ne me donnera, pas plus qu’avec Christian Ribert,  envie de faire du vrai combat avec eux ; si certains déclarent avec assurance vouloir ou pouvoir  essayer, qu’ils s’y frottent, je ne donne  pour ma part pas cher de leur verticalité à long terme.

Envoi d’un message très fort

Ce matin là, Wang Shang  Wen  nous étale  patiemment et passionnément le détail technique de la  frappe vrillée de haut en bas, selon la technique « de Zhai  shui ». Dario, toujours complaisant, mais pas vraiment consulté pour accepter de punching Ball à jet continu,  est pourtant le récipiendaire de quelques  nouveaux chocs  qui lui talent un peu plus sa poitrine «  velue mineuse ». Je me trouve à un moment donné à proximité du mur de restaurant, là ou sont empilés des tables en zinc léger pour barbecue. Le maitre de tai chi, placé juste devant moi, reçoit à son tour de la part du maitre en démonstration, un coup sur la poitrine qui a pour effet de le décoller littéralement  du sol, le projetant nettement un à deux mètres en arrière, par bonheur pour lui, mais par malheur pour moi, directement sur mon auguste carcasse : j’ai comme l’impression d’être percuté  par un tapir  au galop, tant les soixante kilos tout mouillés du chinois me semblent pesants et denses. Nous nous affalons, lui et moi, déséquilibrés, culs par-dessus tète, dans les tables à barbecue dont l’empilement s’effondre dans un  fracas  ferrailleux doublé par les rires mi figues mi raisins  de l’assistance, surprise par la puissance déployée . Même les assistants de  Shang Wen, pourtant accoutumés à ce genre de folklore n’en croient pas leurs yeux !

Lorsqu’il assène ce type de coup, WSW  arbore  parfois un facies inquiétant, quasi simiesque le rendant encore plus que dissuasif. Je suppose pourtant qu’il a retenu son coup, afin de ne pas tuer son ami (Peeengg !!!…–youuu !!! ) . Je n’ai donc  aucune envie d’éprouver  plusieurs fois de suite ce type de désagrément, lors de joutes dites amicales. Le combat réel n’a rien d’amical !!  C’est là un message fort qu’ont voulu nous faire passer les chinois. Avant la confrontation, et sans trop s’attarder en conjectures, analyses et examens trop poussés , il convient instinctivement de percevoir l’état d’esprit de l’adversaire, de regarder attentivement sa taille, ses hanches, de façon à percevoir de quelle manière il compte se mouvoir, et dans quelle direction, avec quel équilibre, mu par quelle respiration, à quelle distance, selon quel type de déplacement , il compte attaquer ou rompre. La leçon est rude, mais édifiante !!!!

WSW dit à cet effet être immédiatement en mesure de percevoir le niveau d’un élève rien qu’en constatant l’imprégnation de la concentration sur son visage : le rôle de l’intention, du Yi est donc par définition, essentiel !! Toutefois, la volonté d’instiller l’intention dans notre technique et notre gestuelle, ne doit en aucun cas nous amener à adopter volontairement, j’entends d’une manière réfléchie, voulue, décidée, concertée, des mimiques simiesques et grimaçantes, à fabriquer des faciès se voulant méchants .Il s’agit plutôt de s’entrainer à habiter sa gestuelle en s’imprégnant de celles de nos images  mentales issues d’un inconscient profond qui reflète notre conception du danger, selon les diverses expériences que nous avons eu, ou selon la pire idée que l’on peut s’en faire.  La pratique profonde de l’art martial chinois consiste donc à tendre vers ce type de performance mentale, qui doit bien entendu être guidée pas à pas par les conseils d’un véritable maitre et  non d’un apprenti sorcier qui butine d’une école ou d’une méthode à l’autre. Ou pire, par ceux qui se lancent dans l’enseignement de techniques profondes de qigong, sans préalablement avoir été  longuement initié et dirigés par un maitre confirmé. Il est en tout cas difficile  de ne pas figer cette volonté dans le piège systématique consistant à perfectionner  des enchainements techniques, qui ne sont, somme toute, que des formes, pas forcement habitées du fond adéquat.





De la durée des plages posturales

Un autre piège consiste à penser que la durée de plages posturales suffit à elle-même pour acquérir un fond irrésistible. WSW nous précise bien clairement que cela ne sert à rien,  si ces plages de posture, aussi longues, basses et fréquentent qu’elles soient, ne sont pas sous tendues par une concentration  adéquate. Il me semble à cet effet que WSW ne s’est pas étendu sur la relation avec l’extérieur  par le visuel, évoquée l’an passé, dimension qui me semble receler le plus de difficultés compte tenu de la volatilité de l’esprit.

De la pratique des essais de force

Il nous précise ensuite , à propos de essais de force, (shi li) qu’il juge également important dans le processus de progression, qu’ils ne doivent en aucun cas être considérés, présentés et abordés comme des technique parmi d’autres , destinées à s’ajouter à d’autres formes techniques . Le shi li (essai de force) porte en lui-même toute la potentialité du combat,  selon une recherche constante de construction, de tissage méticuleux de la force, avec l’imagination de la présence, voire du contact omniprésent de l’adversaire. Toutes les techniques de combat à proprement parler, comme les coups de poings divers, les parades, les poussées, tirées, sont inclues dans le travail tri ou multidirectionnel des shi li, selon le sempiternel principe des forces contraires, soit la recherche de compensation  directionnelle équilibrante avec un bras par rapport à ce que l’on fait avec l’autre  (tenségrité).

De l’informalité de l’entraînement à la chinoise

L’informalité de l’entrainement à la chinoise permet à chacun de pratiquer selon la charge de travail qu’il sait pouvoir raisonnablement s’imposer, selon son rythme, son âge, ses limites, sa motivation. Ceci amène les adeptes à davantage rechercher la qualité  dans peu d’exercices, plutôt  que dans une somme de répétitions forcenées  à thème imposés,  empreint de rituel, de discipline, de   rigueur, quand ce n’est de dureté et de distance entre enseignants et enseignés. La pratique à la chinoise dénuée de tout rituel, tenues, ou cérémonial,  semble à certains laxiste. Il constitue  pourtant une invitation au voyage qui permet, selon ma compréhension, de fixer les règles du chemin d’une progression future, afin que l’élève, l’adepte en général, avancé ou pas, puisse se dire, « en étant là, à ce point  », je dois faire ceci pour aller là, et atteindre tel objectif » ;

WSW nous affirme ainsi ne pas désirer nous asséner des couches successives de connaissances techniques savantes , mais nous éveiller progressivement pour nous auto enseigner à  gérer nous même notre pratique, sous réserve que nous admettions bien le fait qu’il ne peut en aucun le faire à notre place, qu’il convient, afin de progresser et de réussir ,de nous prendre en charge,  d’être responsable de l’orientation, de la quantité, tout comme de la qualité de notre pratique. C’est d’ailleurs dans cette mesure qu’il me semble pertinent d’évoquer le terme de « guide », plus adapté à cette situation que celui de Maitre à la japonaise, notion empreinte d’absolue obéissance à des préceptes et à un cheminement fixe, tendant vers un icône unique, parfois sciemment rendu inaccessible, ou pire, admis comme tel !

Les rails de la voie sont strictement parallèles, selon une exigence technique incontournable. Mais la voie elle même sinue selon les méandres divergents  de notre propre vie et des impondérables, qu’aucune méthode ne fera jamais entrer dans un moule. Si  WSW nous recommande, voire nous éloigne, par ses cours et ses conseils, de pratiquer des exercices de combat libre, il nous pousse, encore et encore, à nous tourner vers le travail de tuishou à deux mains, qui selon lui, recèle, sans danger, toute la potentialité du combat réel, en tant qu’application logique et mobile des shi li.





Nuits de Chine, nuit câlines ? .

Le tordeur de coude étant parti, j’imagine naïvement que l’étage va ainsi bénéficier d’un peu plus de paix, ses gueulements, ses claquements  de porte, ses raclements incessants de gorge ayant cessé ; mais il est avantageusement relayé par quatre joueurs de Mah Jong, tout à coup sortis du néant, semblant connaitre tous les membres de notre groupe. Ils se sont installés autour d’une table spéciale à quatre mètres de ma chambre. Equipée d’un bac en ferraille dans laquelle se déversent bruyamment les jetons, jusqu’à une heure avancée de là nuit. A la fin de chaque tour de jeu, ils vocifèrent sans prendre garde à ceux en quête de sommeil. J’ai bien pensé à leur confisquer leurs jetons, mais comme je les avais déjà en imaginant leur niveau pugilistique, je me suis prudemment abstenu ! Les coqs et les paons ne manquent pas de reprendre  leur «  sévices  de nuit »  dès trois heures  !! Les chiens aussi !! Coqs, canards et poules prendront le relai. Puis les humains se remettront à hurler en installant les tables.

Vendredi 1 er octobre 2010–10e entrainement- Du travail mental lors de la posture

Nous sommes tous épuisés. Même Manu, de loin le plus jeune d’entre nous, semble affecté par les diverses causes d’épuisements accumulées ces derniers jours. Nous désirons toutefois tous faire  bonne figure à l’entrainement du matin,  après un rapide petit déjeuner au réfectoire du monastère. Le Maitre a lui aussi l’air fatigué ! Comment peut il se reposer au milieu d’un tel concert permanent de bruits variés et ininterrompus ? Ce matin, là, il entame sa transmission en nous expliquant, debout au milieu de l’auvent jouxtant le réfectoire, entouré de son aréopage d’élèves, que l’art martial chinois ne consiste pas à pratiquer des formes à la recherche d’un état d’esprit, mais au contraire de pratiquer  un état d’esprit au travers de formes.

C’est à ce moment là qu’il évoque, mais sans plus s’étendre, la notion de rapport avec l’extérieur  pendant la pratique longue des postures, selon laquelle chaque point de l’espace devient une cible potentielle qu’il convient d’essayer de fixer, jusqu’à pouvoir l’intégrer en nous, ou nous intégrer nous même dans le propre environnement de cette cible .Il s’agit alors de parvenir à un état dit second, mais qui est sans doute originel, selon lequel on doit se sentir partie intégrante d’un tout. C’est dans cette mesure qu’il m’apparait qu’un certain nombre d’outils semblent me manquer, au vu des difficultés de concentration et de la propension à la divagation d’esprit qui m’assaille lors de ma pratique, que je suis pourtant  en mesure de faire durer de plus en plus, avec de plus  en plus de facilité et de bien être.

Je fais ici référence au remarquable ouvrage de Mr Michel Chiambretto aux éditions du Chariot d’or, intitulé  «  Art et tradition du travail  interne ». Cet auteur, adepte émérite  qui nous a précédés chez WSW  il y a bien des années, où il a acquis un niveau sans aucun doute respectable, insiste bien, à la fin de son ouvrage, sur cette dimension probablement capitale. J’avais également eu l’occasion d’aborder ses écrits lors de mon long parcours au sein de ma précédente école. Mon précédent maitre avait lui aussi plusieurs fois  évoqué cette dimension, mais sans jamais, me semble t-il, en préciser davantage et mieux  la prépondérance, nous laissant ainsi penser que  le travail de posture s’avérait suffisant en tant que lutte contre le temps, contre nos tensions, une fois alliés  à notre résistance. Ce stakhanovisme de la pratique quantitative frénétique et excessive  reflète  d’ailleurs  bien  la constante quête  d’une volonté de résultat  immédiat  dans l’entrainement de certains t experts, malgré ce qu’ils dénoncent parfois dans leur écrits à propos des excès d’entrainement. Trop d’attentats à notre intégrité physique ont ainsi abimé et affaibli trop d’entre nous au début de nos parcours. Nous n’avons pourtant scrupuleusement suivi les consignes de nos maîtres et en avons subi les dommages collatéraux, sans vraiment progresser !

Technique d’approche d’un opposant

WSw nous fait toutefois découvrir une technique d’approche de l’adversaire consistant, sur une position basse,  bras presque tendus de par et d’autres de la  tête, mains ouvertes, à protéger le visage et à s’approcher ainsi , soit en ligne, soit avec le déplacement en triangle (mucabu ) ; il s’agit de ne  pas bouger les bras, et surtout de rester très attentif sur le centre de l’adversaire ; la position des bras, relié au centre du dos, permet d’initier très rapidement des parades, blocages multidirectionnels enveloppants, pouvant déboucher sur un tui shou à une main, ou même à deux ; il m’a toutefois semblé que cette technique d’approche comportait un point faible, selon lequel le ventre et les parties génitales n’étaient pas protégées ; il me semble que les jambes doivent en ce cas être utilisées pour dévier les attaques de pied.

Recommandations pour les techniques de poing

Ce matin là, WSw nous indique que le «  chuan fa »( ‘ensemble des techniques de poing)  doit également se travailler selon des plans de frappe qui diffèrent selon la technique que l’on emploie .Ainsi, le pouce doit être placé replié  sur la première phalange lors de l’exécution du coup de poing droit, selon le principe de « tenir l’oisillon », soit sans trope serrer les doigts sur la paume. Ainsi, ce sont les phalanges qui percutent los de l’exécution des coups de poing remontant. Ainsi, c’est le marteau du poing qui percute lors de l’exécution du coup de poing circulaire. Nous nous entrainons tous à ces formes, en nous méfiant du désir qu’ont ces chinois de toujours  vouloir nous montrer avec fierté leur puissance de feu, d’abord rassurants quant à leur désir annoncé de contrôle, puis fiers comme Artaban quand ’ils nous ont froissé une côtelette, tordu un coude, ou aplati un mamelon.

A propos du Pakua

Fort heureusement, Dario, colosse érodé (et non de Rhodes,), sert  à tout coup de réceptacle systématique à leurs démos, ce  que je trouve très confortable ; il faudra que je m’arrange pour repartir avec lui lors de prochains voyages! Nous abordons ensuite, selon le déplacement circulaire de Pakua, la première paume, dont l’exécution sur un pas tournant rapide , consiste , selon une élégante circonvolution du bras  à partir du dos, à se dégager d’une saisie au poignet, puis  d’utiliser dans la continuité,  la percussion de l’épaule pour bousculer le centre de l’adversaire, le tout en restant dans une mobilité résolument circulaire. J’avoue avoir toutes les difficultés du monde à intégrer ce type de travail pourtant similaire à celui des dragons intérieurs et extérieurs, adaptés de l’énergétique traditionnelle chinoise par le responsable technique de ma précédente école. WSW, mais aussi Manu se montrent pourtant très présents pour nous aider dans cette tache, dont l’approche demeurera pour moi un échec. Je me garderai en tout cas  bien de transmettre quoique cela soit à cet effet,  ne maitrisant rien en l’occurrence. Nous terminons cet agréable entrainement par un travail plus libre, destiné à intégrer , selon notre propre créativité, sur déplacements linéaires, avant, arrière, ou circulaires  toutes les techniques d’essai de force,  ou de techniques de poing, (chuan fa) abordées, avec ou sans explosivité. Il me semble être de plus en plus à l’aise dans ce travail  ce que semble confirmer WSW, pour chacun d’entre nous,  par l’intermédiaire de Manu.

Le repas de midi sent les très  prochaines séparations ; bon an, mal an, les  groupe  se sont rapprochés, malgré la barrière de la langue, des tables, des cultures et des comportements. Il me semble que ces chinois ont tous été séduits, malgré la différence de niveau, par notre volonté à tous  d « ’apprendre », à  notre ouverture à leur conseils, à notre désir de mettre à profit leur présence, quoiqu’en coute ce voyage et ce séjour en fatigue et à un inconfort, qu’ils ont contribué à péjorer. Les échanges de cul secs à la bière, et à la gnole spéciale Thénardier, d’accolades, de mains serrées, de regards appuyés  d’échanges de cartes, de  téléphone et d’adresse courriels, de compliment sur  les blocs notes de chacun s’entrecroisent et se multiplient. Le maitre de tai-chi, avec la grande douceur et la grande gentillesse qui semble le caractériser, m’offre une belle calligraphie indéchiffrable, même pour Manu, malheureusement pas exploitable du fait de la présence des carreaux de mon cahier de notes. Chacun des assistants indique ses coordonnées personnelles. Je me promets bien de leur adresser individuellement des photos,  d’établir une communication permanente, en attendant, peut être un prochain voyage

11e entrainement Nous avons commencé, en lieu et place d’une sieste maintenant considérée comme l’«  inaccessible étoile » à boucler nos bagages. Mon sentiment est mitigé. Je me sens à la fois triste de partir, de par mon bien être (intellectuel, j’entends, car celui physique laisse plutôt à désirer) en  cet endroit exceptionnel  de Chine quasi médiévale, mais également ravi de quitter ce même endroit de par mon sens de l’hygiène et de la civilisation totalement attentés. Nous retrouvons les chinois pour un dernier entrainement, qui sera le plus long

La pluie a cessé. Mais le sol, demeuré glissant, ne nous permet pas de pratiquer à l’endroit habituel. Nous élisons une terre plein un peu plus haut sur le chemin.  Nous passons un grand moment à dégager du sol les plus gros cailloux qui seraient susceptibles de nous gêner. WSw  et ses assistants ont disposé la table en bois, les tabourets empilables, le the et le bol afin de toujours pouvoir se sentir à l’aise, selon la tradition des entrainements à la chinoise. La pratique de l’après midi est en fait totalement  libre ; WSw parait s’en désintéresser, mais  il semble qu’au contraire, installé à cheval sur son tabouret, les yeux un peu plus plissés qu’à l’accoutumé, cigarette à l’encoignure de lèvres, il nous observe attentivement. Ayant été rassuré à propos de certaines  formes, mais de formes seulement,  je décide de tenter de rendre mon pas circulaire et ma première paume un peu moins coincés  entre le nul et le néant ; WWW m’encourage de la  voix et du geste, se levant de temps pour m’accompagner ; ce qu’il fait parait être de la plus haute simplicité ;

Ce que je tente de reproduire me semble gauche, lourdaud et maladroit, comme les canards qui se dandinant un peu plus loin,  car sans pas suffisamment sous  tendus  par l’état  d’esprit adéquat

Le manque de formation des bases du Pakua me parait évident.

Les autres membres du groupe semblent fatigués ; ils  rejoignent  épisodiquement  les chinois sur les tabourets., Dominique et moi, persistons dans notre travail, malgré la fatigue, emportés par la passion et la perspective du contact très , trop prochainement coupé ,  enclenchant  ensuite sur des improvisations libres en enchainement de toutes celles des formes visitées lors des vingt premières heures d’entrainement,  tachant mais difficultueusement, de le sous tendre selon une fond présent  lâchant un peu de « vapeur » afin de créer un son ;

WSw en profite pour nous montrer que divers types de sons  peuvent émaner du buste, selon la hauteur ou on va les solliciter ; il recommande d’aller chercher le son du bas, celui à la hâteur de tan tian

Chacun de ses assistants est pour la dernière fois invité à présenter son travail personnel, que le maitre ne manque pas d’apprécier selon des conseils omniprésents, sans hélas qu’il me soit toujours possible de comprendre le sens des critiques ou de louanges, s’il y en eut.

WsW nous invite ensuite à nous assoir, alors que le crépuscule pointe ses premières  annonce de  fin de la journée ;  Il met ainsi fin à l’entrainement et au stage,  nous précisant qu’il se déclare fort satisfait des progrès de tous, enregistrés tout au long de cette semaine ; il m’aurait importé de savoir comment il considérait mon évolution depuis le stage de l’an passé ….; mais n’ayant pas abordé ce sujet, je juge inopportun de le questionner ; il offre une magnifique calligraphie à Manu, nous en confira une seconde relative au Da Chen chuan (boxe du grand accomplissement )  destinée aux Ribert  de Calam, puis m’offre très gentiment, au nom du groupe, une service à thé en porcelaine  à propos duquel, même s’il me fait plaisir, je me demande comment il va m’être possible de le caser dans ma valise !.

Un dernier diner fraternel, malgré la séparation des tables, nous réunit, avec forces libations, » gan bei » et verres  de bière et de gnole corsée auxquels je ne touche pas , afin de ne  pas rajouter de nouveaux désagréments à ma fatigue  …Nous montons dans nos chambres pour tenter d’y trouver un peu de repo a, malgré le tournoi inter province de Mah Jong , dont la multiplication des participants campe devant notre porte, monopolisant les toilettes  et ce qui reste  d’accessible du seul lavabo de l’étage ; comme nous mangeons à peu près deux poulets par jour à nous tous, j’estime, en observant la trop lente décrue du volume  de leur égosillements frénétiques  comme on compte les moutons pour s’endormir, qu’il nous faudrait ainsi rester environ huit jours pour obtenir le silence, soit encore quatre jours comme ce ceux là pour obtenir le silence , ….tout compte fait , le départ programmé le lendemain s’avère être une bonne chose !

Samedi 2 octobre –retour à Pékin

Nous  nous retrouvons tous devant l’auberge, tôt le matin, bagages bouclés, prêts au départ. Tous les chinois sont là pour nous accompagner à pied, solidaires,  empruntant à nos côtés le sentier caillouteux qui serpente à travers les divers bâtiments du temple, jusqu’au parking du bas ou nous attend notre mini bus. Sur le chemin, j’ai la chance de me trouver aux cotés de WSW, avec qui je me hasarde dans un dialogue. En mandarin. J’ignore si c’est l’émotion qui me pousse ou me transcende, mais  lors de ces cinq minutes passées à marcher de concert, nous parvenons à un échange au cours duquel il me confirme son amitié, nos progrès, dont il nous en remercie. Nous évoquons ensuite son improbable venue  en France, qu’il décline cette fois très fermement, me rappelant, non sans un zest d’autodérision, sa phobie aéronautique. Il trouve ce voyage trop long, trop épuisant, ce que j’aurais mauvaise part à contester. Je tente alors d’évoquer la possibilité de faire venir Jian Nan, ce à quoi il ne semble pas opposé. Il me recommande voir directement avec l’intéressé, ce que j’entreprends une fois installé dans le minibus, bien entendu, avec l’aval de Manu. Nous en arrivons à la conclusion selon laquelle   sa venue ne pouvant sans doute s’inscrire que dans le courant d’un été : il sera sans doute difficile de réunir suffisamment d’adeptes pour couvrir les frais inhérents à son voyage et à son séjour. Le projet est reporté à des calendes qui n’ont plus rien de grecques. Nous chargeons, après une longue séance photos, nos bagages dans le minibus.  Les adieux sont réellement émouvants ; cette année, les accolades remplacent les poignées de main de l’an passé. Tous les chinois semblent, comme nous émus. Nous nous promettons  de nous écrire et de revenir l’an prochain, ce que j’ai bien l’intention de faire. Ainsi que les années suivantes.

Nous sommes tous pressés de rallier Pékin et un hôtel correct. De plus, nous n’avons pas mangé depuis le matin. La fatigue est là, celle de l’entrainement s’y superposant. Une fois mal installés dans l’avion, nos six places jouxtant l’accès aux toilettes en queue  d’appareil , nous inaugurons ce vol que nous croyions salvateur,  par deux longues  heures d’attente inexpliquées, au cours desquelles les quelques cent passagers  chinois de l’appareil se relayeront pour venir faire leur besoins dans les toilettes voisines , nous piétinant ,  nous étouffant en faisant a la queue, s’agglutinant  par grappes  compactes et concurrentes  afin de pouvoir s’assumer le plus rapidement possible. Certains vont jusqu’à s’asseoir sur les accoudoirs de nos sièges en prise directe sur l’allée, nous collant leur postérieur sous le nez, nous écrasant les mains, heurtant nos tètes de leur coudes, de leurs hanches, pétant, rotant, sans que cela semble les déranger le moins du  monde, rendant toute  lecture et toutes communication impossible. Les portières des deux WC s’ouvrent, puis se ferment sans arrêt dans un claquement sec, laissant exhaler à peu près la même odeur que celle  du train. Pendant le vol, la procession est ininterrompue. Je soupçonne même certains chinois d’être passé plusieurs fois, se télescopant à contre sens avec les hôtesses et le steward. Un mauvais repas nous est servi, que nous dévorons toutefois d’importance. Nous arrivons en fin de  journée à Pékin, encore plus épuisés et énervés. Manu nous fait ensuite prendre la navette urbaine qui relie immédiatement le centre  ville, ou nous sautons dans des taxis en direction de nôtre hôtel.

Celui-ci est situé dans les «  hu tong », soit les petites ruelles étroites  typiques de Pékin. Ces ruelles sont occupées par ces typiques demeures à cours  centrales carrées, dont beaucoup trop ont été rasées  afin de  faire place à des immeubles Elles sont maintenant très recherchées par les gens aisés, qui obtiennent parfois des dérogations à la démolition. Notre hôtel a justement été aménagé autour d’une de ces cours carrées Le lieu est charmant. Il s’agit d’un havre de paix et de verdure, serti au cœur  de la circulation, patio verdoyant desservant une vingtaine de chambre à deux lits. Les toits sont  aménagés en terrasses, plantées de nombreux arbustes et plantes en  pots. De là, il est possible de dominer d’autres cours carrées, d’autres maisons, parfois plus basses, permettant ainsi d’avoir une perspective sur ce qui ressemble à une antique citée aux tuiles grises, décorée aux encoignures par des dragons ou des oiseaux divers. Le lieu est familial, chaleureux, le personnel souriant. Nous sommes  attendus et accueillis comme si nous faisions partie de la famille (Jia). Nous nous répartissons par deux dans les chambres, toujours selon le même ordonnancement ;

Dario et Dom ont droit à une vaste  chambre nuptiale dont le lit s’avérera malheureusement trop court pour Dario, l’obligeant à dormir de guingois. Manu et moi bénéficions d’une chambre, petite, mais dotée cette fois d’un bloc sanitaire correct. Nous en profitons immédiatement pour récupérer quelques forces avant de nous doucher,  nous changer, et prévenir Maitre LI de notre arrivée. Nous nous rendons à pied  dans un proche restaurant spécialisé en Kaoya (canard laqué). Le restaurant est immense, composé de plusieurs  salles à ciel ouvert, pleines à ras-bord de dineurs bruyants, souvent en famille. Le canard est absolument délicieux. Sa découpe devant les convives constitue un spectacle en tant que tel. Nous rentrons tous  rassasiés, épuisés, mais heureux de la  perspective d’une nuit complète, calme et civilisée, éloignée de tout bestiaire tintamarresque. Nous devons rencontrer le deuxième Maître de Da Cheng Chuan, Maitre Li Jian Liu, auquel Manu voue une respectueuse admiration.

Rencontre avec Maitre Li Jian Liu

Nous nous levons beaucoup plus tard que d’habitude, après notre première nuit de vrai repos, dans un endroit enfin silencieux. Nous trainons, oisif, mettant cette matinée de calme à profit pour reprendre des forces. Maitre Li s’annonce sur le coup des 15 heures comme prévu, poussant dès l’ouverture de la porte un cri de stentor qui surprend dire terrorise les filles du propriétaire. Il est accompagné d’une de ses élèves, âgée d’une cinquantaine d’années médecin, attentionnée, presque maternelle avec la Maitre. Celui-ci  investit  immédiatement les lieux par son immense personnalité, malgré sa taille minuscule. Nous asseyons tous confortablement autour d’une des tables du jardin, et commandons thé et boissons. Il ne m’appartient pas de présenter Maitre Li, Emmanuel Agletiner, son élève direct l’ayant déjà fait d’une manière beaucoup plus complète et documentée que je ne pourrais jamais  le faire, sur son blog  «   Quanxue. blogspot.com ».

Maitre Li,  appartient à l’ethnie Hué, soit une des peuplades musulmanes  qui peuplent certaines provinces  de la Chine de l’ouest.  Il a quatre vingt sept ans, précisément l’âge de Claude- Emile, mon père. Il vient juste de perdre sa Maman, âgée  de …111 ans !! Il est un témoignage vivant du dernier siècle chinois,  ayant connu ce pays avant, pendant et après Mao. Il est un encore alerte vestige humain, évoquant avec verve les énormes bouleversements et changements qui caractérisent ce pays depuis  60 ans.  Maitre Li est de très petites tailles, homoncule aussi large que haut, très râblé et très puissant.  Gravement blessé au genou lors d’un récent accident de la circulation à bicyclette en ville,  il claudique d’importance, éprouvant le besoin d’être assis. Il se soigne lui-même. Il est toujours vêtu de la  même manière, d’un veste trois quart sombre boutonnée haut, coiffé d’une chéchia noire à parements  dorés  qui semble greffée à sa tète  Il est venu avec un grand sac à main portée par son assistante,  rempli d’albums photos dont certaines très anciennes, qu’il met un point d’honneur à nous produire  avec force commentaires   dans un anglais approximatif, qui nous permet en tout cas mieux de le  mieux comprendre. Page après page, il relate avec force  détails sa longue carrière d’artiste martial, en tant qu’élève du fondateur du Da Cheng chuan   Wang Xiang zhai, dont il  est le dernier disciple vivant,   puis en tant qu’enseignant. Il se délecte ainsi  à nous narrer de quoi fut jalonné son riche parcours, et les gens qu’il lui fut donné de rencontrer. Sur les photos, il m’est possible d’y reconnaitre des délégations étrangères composées de gens que j’ai moi-même connu. Jean Luc Lesueur, aussi, mon ex Maitre, ainsi qu’un certain Emmura y figurent, dont il semble qu’il n’ait pas très envie de nous parler, vu le rythme où il tourne les pages. Il s appesantit,  comme pour exorciser cette impression, au travers d’une  longue et violente diatribe à l’encontre des japonais ce peuple conquérant qu’il juge, comme beaucoup de chinois nous précise t-il,  invasif, dominateur, agressif,  cruel et guerrier. Il s’attarde  à nouveau, comme une litanie,  sur le rôle néfaste de l’influence du Japon dans l’histoire chinoise, nous redisant son antagonisme contre ce peuple insulaire responsable, entre autres, de l’épique massacre  de Nankin.

Maitre Li semble soucieux de nous faire savoir qu’il est célèbre en Chine pour trois raisons. Tout d’abord, il est universellement connu et reconnu en tant que Maitre d’arts martiaux de très haut niveau. Ensuite, il l’est tout autant de par la qualité de calligraphes, la moindre de ses œuvres étant à l’époque cotée près de 2000 €. Il en a vendu dans le monde entier, et principalement au gouvernement chinois qui en a décoré certains de  se édifices publics. Enfin, il est reconnu pour sa capacité de soigner, voire de guérir les gens, ce dont il semble le plus fier. Cet homme, direct, fruste, est d’une immense simplicité. Il nous invite à pratiquer un peu la posture, mais ne désirant pas diriger l’entrainement sur le toit de  l’hôtel à cause de la chaleur, non plus de ressortir pour aller dans un  parc en ville, ni de rester dans le patio,  il décide  de diriger son premier cours dans le couloir des chambres de l’hôtel   Le déploiement technique qu’il nous propose est davantage orienté vers le Qi gong Yang Chen postural.

« Prendre soin de soi », « nourrir la vie », semblent être les deux meilleures traductions pour « Yang Sheng » .Nous étudions ainsi sous sa direction sept des postures de base, de la plus simple avec les bras ballants, de la plus ardue avec les mains en l’air, comme pour un holdup. Il nous explique qu’une bonne posture, quelle qu’elle soit, est nécessaire pour une bonne sortie de force (fa li). Pour illustrer son propos, il pousse encore quelques inattendus cris retentissants  ce qui a pour effet de faire sortir de leur chambre quelques clients médusés, prêts à protester, mais finalement radoucis quand ils se rendent compte qu’il s’git là d’un cours  d’arts martiaux. Je dois dire que chaque cri poussé à pour effet non seulement de nous surprendre, mais d’éveiller au fond de chacun d’entre nous de profondes et surprenantes vibrations. Afin d’étayer son propos, il agrémente une de ses sorties de force par un maitre coup de pied dans le tibia du pauvre Dario, qui n’a pourtant rien fait  de particulier que d’être plus costaud que les autres. Le bleu enregistré sur sa jambe viendra ainsi compléter une panoplie de camaïeux de violet et de bruns qui émaillent déjà sa poitrine, selon l’ensemble de l’œuvre de Wang Shang Wen. Ces deux maitres se sont t-ils donné le mot ?…Je précise que Maitre Li portait au moment du coup de pied de grosses chaussures  en cuir bien dures !!

Les entrainements que nous aurons ensuite avec Maître Li s’effectueront sous forme de forum chacun étant invité à poser des questions, la langue anglaise étant la plus utilisée. Maitre Li se montre disponible, disert, et semble t-il avide de nous  transmettre le plus possible de choses, des techniques, des faits  historiques ou des anecdotes. Il ne cherche pas à apposer à ce  débat, ou à insinuer avec ses réponses, la sous tension d’une hiérarchie, malgré sa célébrité Il évoque plutôt un grand père et ses petits enfants, empreint d’indulgence et de compassion, qui nous encourage à tenter de nous rapprocher de lui  par nos questions.

L’essentiel de ses  propos au demeurant, très fournis, réside dans ce qu’il nous martèle à plusieurs reprises, que la pratique du Da Cheng chuan consiste, d’abord et avant tout, à  passer par celle, scrupuleuse et assidue du Yang Cheng Il convient, avant tout de prendre soin de soi, afin d’acquérir et entretenir un corps sain. Ce ne sera qu’une fois cela acquis, selon une pratique quotidienne de la posture, qu’il est, selon lui, envisageable d’aborder la partie martiale de la pratique.

Il évoque, à plusieurs reprises, la recherche du retour « au ciel antérieur, soit l’état de d’abandon propre au nourrisson, tel que nous l’avons tous connu avant d’apprendre à conscientiser nos actes et notre vie. Il s’agit, selon lui, de tendre vers l’acquisition d’une détente maximale conférée  par la pratique régulière d’une pratique au maximum simplifiée, basée sur le travail postural, les déplacements lents et les essais de force. Son discours est en de nombreux points connexes à celui de Maître Wang Shang Wen.

Maitre Li essaie de nous convaincre que la pratique du combat ne peut être, sur le long terme,  que s’avérer nocive à la santé, qu’à partir d’un certain âge, il convient de ne se consacrer qu’à la pratique de la recherche de bien être.

Il ne nous a pas été possible de  poser clairement la question, en des termes pou lui accessibles, et ainsi pouvoir obtenir une réponse claire, la barrière linguistiques aidant, à propos de quel type combat maitre Li parlait. S’agit il de la pratique sportive du combat libre, ou plus simplement de la pratique de la partie combat du Da Chen chuan ? Cette opinion n’est elle pas  émise  par une personne essayant, en fin de parcours, de préserver sa santé, donc peu encline à pratiquer des exercices pour lui devenus fatigants, voire  violents, susceptibles d’attenter à son reste d’intégrité physique ? Par ailleurs de quelle « santé »  voulu parler Maitre Li ? Entends t-il par là que certaines  pratiques, même conduites sérieusement  sur le long terme, recèlent un danger potentielle pour le corps, ou s’agit plus simplement de danger articulaire, touchant l’arthrose et l’usure de notre matériel cartilagineux ?  Ces propos, combat et santé, ne sont t’ils pas tenus par une personne vieillissante, peut être moins à même de démontrer  son efficacité,  comte tenu de son âge et de son très regrettable accident au genou ?J’ignore si ces réflexions sont fondées ; il n’en resta pas moins vrai que cette personne semblait encore posséder, à 87 ans, une force hors du commun, une puissance qui transparait lorsqu’il adopte une posture, notamment celle de « tenir le tigre », effectuée avec un brio surprenant, ce  malgré son problème ligamentaire ginochiale. Les cris qu’il pousse,  les quelques coups qu’il porte encore, toujours au même Dario, élu universel, attestent en tout cas d’une puissance hors du commun, qui laisse penser ce que devait être celle qu’il eut, lors de l’époque de la  pleine possession de sa  mobilité.

Lundi 4 octobre 2010.

Maitre Li arrive un peu avant l’heure programmée de l’entraînement, immédiatement après le petit déjeuner, toujours en s’annonçant d’une  manière tonitruante. Manu étant accaparé par l’organisation du reste de notre séjour, je le reçois dans le petit salon de l’hôtel. Nous nous installons assis  sur un vaste lit antique à opium, aussi grand que large. Les questions posées ne me semblent pas perçues et comprises comme je le souhaite,  du fait des limites de son vocabulaire anglais, et surtout du mien en mandarin. Il en revient toujours aux mêmes  préceptes de base, selon lesquels le Da Cheng Chuan comporte sept portes, qui sont : postures, marche, essais de force, explosion de force, pousse mains, émission du son et combat. Là encore, je ne parviendrai pas à savoir de quel combat il désire parler, ni  pourquoi il l’évoque, alors qu’il nous en a vivement déconseillé la pratique la veille encore ?

Il me recommande, lors de mon entrainement personnel si possible quotidien, de mêler les trois éléments qu’il considère essentiels, soit la posture, la marche et les essais de force. La durée recommandée ne comporte pas de préceptes établis. Chacun doit pratiquer selon son ressenti. L’objectif consiste à plutôt à chercher des sensations de bien être de fond, sans jamais tomber dans le piège de l’exagération et du frénétisme compulsif, consistant à pratiquer par exemple, plusieurs heures de postures quotidiennes. Il nous affirme avec conviction qu’une telle démarche équivaut pour lui, à bruler sa vie par les deux bouts, en même temps que celles de sa progression. Cela relève, selon lui, d’un esprit spéculatif s’éloignant  totalement de celui, perceptif, car basé sur l’exacerbation d’un ego dont les manifestations vont à l’encontre du principe de « lâcher prise ».

A propos de « fa li », ou explosion de force, il me recommande vivement de ne pas  le pratiquer lorsqu’on sent faible et fatigué, ou surtout, lorsqu’on ne ressent pas l’envie de le faire. C’est dans cette mesure que m’apparait la nécessité d’adapter, lors de mes  cours cette difficile et ingrate pratique à chacun, en précisant bien que les performances de l’un ne peuvent pas forcement être immédiatement accessibles à d’autres.

Quant au pousse mains (tui shou) , il me confirme, selon les propos de Maître Shang Wen, qu’il ne convient en aucun cas d’entrer en compétition avec l’autre selon le principe du bras de fer, mais plutôt d’entrer en communication avec lui, à apprendre, sous sa pression, à demeurer souple, et à sortir , au bon moment, lorsqu’il est  moins attentif, ou moins centré , une force de fond venant  du bas, basée sur l’étirement des tendons, le regard vissé sur la ligne de centre de l’adversaire.  Une fois Manu  de retour, Maître Li décide à nouveau de diriger son cours dans les couloirs des chambres de l’hôtel, en reconduisant le travail de la veille sur les sept postures thérapeutiques de base, à propos desquelles il nous précise bien qu’elles sont également en tous points adaptables pour le combat.  Puis, sans doute un peu fatigué, Maitre Li nous invite à  rassembler  autour de la table les quelques sièges disponibles, pour nous explique que le travail postural doit nous faire passer par quatre stades différents avant de trouver une forme de bien- être  ce qu’il nomme le ciel antérieur, état  favorable à la libre circulation du « chi » dans l’entièreté du corps.

Ces étapes ont le gonflement, le fourmillement les courbatures et la sensation de vide. Puis, il nous fait travailler quelques postures plus basses, telles que le dragon renversé, ou tenir le tigre, posture pour  laquelle  il me semble qu’il excelle, tant sa stature est impressionnante,  son assise forte malgré son problème majeur de genou. Son faciès est  alors rayonnant, comme si une lumière intérieure le remplissait, comme celle de quelqu’un désireux de vite en partager les bienfaits ave son entourage. Malgré mes près de trente ans de  moins que lui, je ressens davantage de mal qu’il n’en a  à me  bien sentir en tenant ces postures : La douleur est bel et  bien là pour me rappeler les limites que m’imposent dorénavant mes genoux  .A nouveau confortablement installé autour de la table, sirotant du thé, il nous régale avec  quelques anecdotes relatives à son maitre et des défis qu’il releva et gagna..

Puis Maître Li nous invite à pratiquer la marche attentive (mucabu), nous expliquant qu’il s’agit là ni plus ni moins  du déplacement de la  posture, quelle qu’elle soit, son objectif consistant à ne pas désolidariser le buste du mouvement des jambes. Il importe, lors de ce travail  d’une grande subtilité, de placer dans le dos une force arrière compensatoire destinée à nous permettre de garder l’équilibre si on est tiré vers l’avant, une force avant si on est tiré ou poussé  en arrière. L’utilisation des plis de l’aine (Kua) s’avérant  primordiale, comme s’ils étaient des joints  élastiques à ressort unifiant les jambes et les bras. Son  Mucabu (marche attentive lente) me semble être si supérieur au mien, au point que j’en arrive à me demander s’il ne nous montre pas là un autre exercice, alors que je passe moi-même, lors de mes cours,  beaucoup de temps à corriger mes élèves. Jusqu’à me demander  s’il est légitime que je continue à enseigner tant le niveau et l’aisance  que cet homme semble avoir atteint … et gardé, malgré son âge et son handicap, m’apparaissent  aux antipodes des miens,  mettant ainsi  ma pauvre  tête… à l’envers !!

Le cours de cette journée porte ensuite un long et minutieux travail sur le shi li (essai de force) de la lime et du crochet, soit sur celui relatif à la poussée et à la tirée, sur le plan  frontal, , dans les directions avant pour la poussée, et arrière pour la tirée .Le  Maitre nous propose de commencer ce travail assis, nous expliquant que l’on peut avoir les mêmes sensations et les mêmes résultats que debout ; dans les deux cas, il convient de bien respecter les quatre étapes successives, soit cheng, porter, ning, vriller (les poignets, cha, frotter, an, pousser vers le bas (comme dans le tai chi , dernière technique de tirer la queue  de l’oiseau.

Maitre Li nous recommande de pratiquer ainsi cet exercice , sans y apposer de force, sans surtout aller trop loin devant avec les mains, au risque de créer un  déséquilibre général,  afin aussi de ne pas gaspiller et éparpiller la force des mains et des poignets ,et  en envoyant mentalement le « chi » jusqu’au bout des doigts. Dans les utilisations  des shi li, apposés sur une technique martiale donnée, quelle qu’elle soit, Maitre Li recommande d’apposer la force dès le premier contact, en étant aussi rapide à l’intérieur qu’on peut l’être à l’extérieur, sans débordement aucun, comme le font les animaux qui ne font jamais rien d’inutile ou de superflu.

A propos de cet exercice de shi li ( essai de force) , ou des deux autres qui consacrent le plan sagittal avec les directions haut et bas, puis, celui transversal,  qui consacre les directions  gauche et droit, il est primordial de comprendre  qu’il ne s’agit en aucun cas d’une série de techniques martiales en tant que telles, mais plutôt  d’une série de supports neutres adaptables ultérieurement, dans le cas d’une application martiale, à toutes les techniques adaptées sur celui des  plans de l’espace concerné. C’est dans cette mesure que la pratique  du tai chi, quelque soit l’enchainement concerné, doit se concevoir selon l’exécution d’une suite  entrelacée de shi li. Si cette composante interne n’est pas présente dans notre tai chi, quelle qu’en soit l’école, le risque est de sombrer dans un «  par cœur chorégraphique » lascif, gracile et surtout stérile et superficiel.

Décomposition de mucabu, ou marche lente attentive

Cette technique, énergétique, et non pas martiale,  essentielle dans la pratique du Da cheng chuan, sert elle aussi de support à tout déplacement, et pour les trois différents shi li de base, et ceux, synthétiques, qui en découlent comme la toilette du tigre ou les vagues agitées. Ou encore, le shi li du serpent, de la tortue, et des quatre paumes. Là, encore, il convient de bien décomposer le travail en quatre phases, ti, soulever, tang, passer le pied, (comme une rivière à gué), ba, agripper, sou, reculer. Maitre Li considère que Mucabu, en quelques sortes, est le sh li des jambes. Le principe mental à adopter est celui qui consiste à imaginer que l’on lutte contre un courant contraire  en recherchant l’équilibre absolu avec les mains. Ainsi, quand on tire, la jambe arrière avance. On peut également imaginer que l’on avance obstinément contre des rafales de très grand vent.

Conclusion de ce cours

Maitre Li conclue ce cours, en nous rappelant que depuis l’époque du fondateur, peu de choses ont été transmises, en matière quantitative, entend il. Selon lui, et exactement selon le même discours de Wang Shang Wen, l’essentiel de l’art martial chinois  interne est condensé dans les pratiques qualitatives, mais aussi quantitatives de répétitions, assis, debout, voire couché, des postures variées, des essais de force, des déplacements lents. Cette étude  introspective sur nous même, certes répétitive et peu ludique, mais si enrichissante,   doit être ainsi approfondie selon d’une permanente introspection Elle nous éduquera, nous éveillera avec le temps selon une  logique idéomotrice. La découverte des fantastique potentialités que recèle  le fonctionnement de notre corps, mais aussi celui de notre esprit et surtout de la fine relation que l’on est alors en mesure de tisser entre les deux finira par jaillir d ‘elle-même.

Maitre Li devient, pour finir,, critique, expliquant que ceux ayant intégré l’essence profonde de ce « fil de soie » n’enseignent  plus que cela, abandonnant petit à petit la pratique, puis l’enseignement de toute forme, enchainement, tao, ou kata cet abord de l’art martial selon lui, nous ramènent à notre néo cortex , nous éloignant de l’accession au cerveau reptilien, creuset   de ressources profondes pour la relation esprit –corps-force explosive et irrésistible Maitre Li nous dit tout avoir abandonné, Hsing Yi, Pakua, tai chi, le jour ou il rencontré le fondateur. Il nous rappelle également que Hue Fe,  fameux généralissime des armées chinoises d’antan,  pratiquait déjà la posture  en vue du maintien d’un  esprit fort. Il nous quitte tôt, ce jour là, nous annonçant, non sans plaisir, qu’il viendra nous chercher le lendemain matin à neuf heures  à l’hôtel, pour un entrainement, puis un bon déjeuner chinois,  pour lequel il nous invite.

A son sourire fripon, je subodore là une surprise!  Il me semble alors indéniable, tant l’entrainement fut léger et bref, mais riche,   que Maitre Li fatigue vite, ce que je comprends parfaitement. C’est tout de me  un immense privilège que de pouvoir côtoyer un homme de cette trempe. Dario s’en rend encore compte à quelques reprises !!  Serai-je moi-même encore motivé , si j’atteins cet âge remarquable pour encore transmettre ? Je ne le pense pas !!  Après un sympathique déjeuner dans un caboulot spécialisé en raviolis fait en quelques minutes, par un couple chinois qui se renseigne sur l’éventuelle rentabilité d’une telle entreprise en France, nous partons, répartis  en deux taxis  vers le marché des antiquités de Pékin, célèbre  pour la variété de ses offres, et le fréquence des bonnes affaires ; Cette perspective m’enchante, et je pars en espérant bien y trouver quelques vieux jouets  (Wan Ju ) pour agrémenter ma collection personnelle.

Mardi 5 octobre 2010.

Nous dormons bien dans cet hôtel ! Pourtant, la ville nous entoure de toutes parts ! Les clients y sont discrets, et le seul  élément de basse – cour, en la personne d’un lapin blanc en liberté s’avère, au fil des nuits, aussi discret  que silencieux, ce qui nous permet de moins être rongés par la fatigue. Apres un entrainement personnel sur la terrasse, et un petit déjeuner toujours un peu long dans le service, vers les neuf heures, (jyu  diàn) le hurlement de Maitre Li se fait  entendre,  cette fois dans la rue. Il nous invite prestement à le rejoindre  IL est flanqué d’une cohorte  de chinois quinquagénaires, au volant d’une  énorme voiture très chère. Tous ont les cheveux plaqués au gel, fument d’importance, tous sont affublés de  de grandes dents dont certaines en or,  et d’énormes lunettes de soleil, comme les méchants trafiquants des triades dans Tintin et le Lotus bleu. Le reste du groupe grimpe dans un énorme monospace non moins luxueux. Maître Li nous présente ces gens comme étant des disciples. Je me retrouve, seul dans une de ces voitures, avec Maitre Li et deux autres chinois, qui semblent très bien se connaitre. Nous roulons vers un quartier reculé de Pékin, pour une mystérieuse destination. Je tente d’engager  un dialogue avec le chauffeur, mais me heurte à, un problème d’accent qui ne me permet pas de me faire comprendre, à tel point que les deux parties finissent automatiquement par mettre un terme à cette tentative de rapprochement. Maitre Li se contente de rigoler à gorges déployées avec  ses épigones. Je ne peux m’empêcher de penser que mon long nez (tai bi zi)  (pour eux) ou mon accent les inspirent.

Après de multiples détours, autoponts, trémies, bretelles sur lesquelles le chauffeur semble on ne peut plus à son aise, nous parvenons dans un quartier commercial  aéré, ou se succèdent de nombreux bâtiments en entrepôts.  Maitre Li nous a  fait la surprise, en esquivant manifestement l’entrainement, de nous faire visiter le quartier des antiquaires, sous la direction d’une adorable guide trentenaire, qu’il a lui-même appointé. Nous avons ainsi l’occasion de rendre visite à un sympathique groupe de moines typiquement chinois, dans un minuscule temple bouddhiste, ou un contact rapidement chaleureux nous permet de présenter notre travail de tai chi ou de Da cheng chuan  et d’assister, par l’un d’ente eux,  à une démonstration de la « Lao jia »  (forme ancienne) de l’école Chen.

Maître Li revient nous chercher dans la même grosse voiture, accompagné d’une troupe encore plus importante d’autres chinois également quinquagénaires, hommes et femmes, qui ne nous sont pas présentés.  Nous nous engouffrons dans d’autres  voitures, et réitérons un périple périurbain conséquent, qui nous amène dans un vaste bâtiment de style Frantel ou Novotel, sis au bord d’un gigantesque nœud autoroutier  Il s’agit d’un immense complexe hôtelier. A l’intérieur, de non moins immenses salles accueillent des groupes, sans doute pour des congrès.  Il  y  a aussi une profusion de salons privatifs, dans lesquelles d’immenses tables  rondes accueillent des dizaines de convives  Nos guides nous introduisent dans un de ces salons, ou une de ces tables rondes  impressionnantes  a été dressée pour accueillir les 18 personnes de notre groupe .Celles situées en face se trouvent environ à cinq bons mètres, ce qui péjore encore la possibilité de communication, d’autant plus que les chinois se regroupant , comme à l’accoutumé, les uns à coté des autres, nous faisons de même par la force des choses.

Un festin à soixante et un degrés

Maitre Li nous rappelle avec insistance qu’il avait promis de nous inviter : il est heureux d’avoir été en mesure de nous montrer qu’il a tenu cet engagement, en nous congratulant dans  de gigantesques et luxueux canapés  en cuir. Puis, chacun d’entre nous est cérémonieusement invité individuellement à être pris en photo avec lui, la main dans la main, selon la tradition « Hué ». I nous explique que l’une de ses disciples ici présent, que nous ayons pu exactement identifier, propriétaire de ce restaurant, nous invitait pour ce qui allait être le plus faramineux festin de toute mon existence. L’invitation semble donc pilotée au travers du vaste réseau relationnel que doit posséder un homme aussi connu et respecté que Maitre Li. Il occupe d’ailleurs la place d’honneur. Les élèves qu’il a placé à ses cotés sont aux petits soins pour lui, mais semble t’il   davantage orientée vers la déférence due à une personne âgée de rang,  plutôt que par l’obséquiosité. A l’endroit d’un Maître.  Il est un peu plus de onze heures. Je n’ai pas  très faim, le petit déjeuner n’étant pas si loin que cela.

Maitre Li ouvre le bal en se levant, imité par ses concitoyens. Une des femmes présentes, sans doute ,  l’épouse de l’un des disciples, à moins qu’elle ne possède également ce statut, lève un verre à liqueur rempli d’une eau de vie de prune de leur fabrication , qu’il convient de boire « cul sec «  (gan bei ) , au nom de l’amitié franco chinoise. Je ne peux que tremper mes lèvres dans cette eau de vie à soixante et un degré, qui même si elle possède  en degrés le même nombre d’années que j’ai vécu, n’accepte en aucun cas la déglutition  envisagée, occasionnant  une trop vive brulure stomacale. Je repose donc prudemment et  poliment mon verre, en demandant à Manu de compléter des excuses (due bu chi) que je peine à proférer. Jean- Claude, situé à ma gauche, plus solide, ainsi  que Dario et Manu, réaliseront, lors de ce repas interminable, l’exploit ou le forfait, selon,  d’en avaler quatre, Dom, Patrick et moi demeurons en queue  de peloton,  par peur d’une «  torgnole » alcoolique retentissante.

Puis, arrivent les premiers plats, nombreux, copieux, variés, à propos desquels je mets un trop long moment à comprendre qu’il ne s’agit en somme que des amuses gueules. Nous sont servis des  tonnes de petits légumes crus assaisonnés, artistement découpés, de plats de viande froide de bœuf  en fines lamelles, accompagnés de  sauces  piquantes ou explosives, que les chinois continuent à faire glisser avec leur verre de gnole. Il y a aussi une  délicieuse échine de chèvre, du poulet à la sauce irritante, des beignets de crevette, du ragout de bœuf et des tranches de veau rôtis, de la dinde ,  du riz blanc  à profusion, toute les  viandes possibles étant ainsi présentes, sauf celle de porc,  dans la mesure ou  s’agit d’un restaurant musulman . Certes, la configuration des tables chinoises permet à chacun de se servir en fonction de ses gouts et de son appétit. Mais nos hôtes veillent soigneusement à ce que chacun d’entre nous goute à tout, puis se resserve, ce que je fais , à mon ventre défendant, à plusieurs reprises, ne pouvant pas toujours  tout  décliner, outre la gnole.

 A plusieurs reprises, il fallut  se lever, puis faire semblant de  vider son verre de prune,  toujours le même en ce qui me concerne, non sans en taper le socle sur la table afin de montrer qu’il était bien vide, ce qui m’obligeait à bien faire attention de ne pas le renverser. En chaque occasion, la quinquagénaire hilare,  épaisse et lippue,  assis près de Manu et du Maitre, femme évoquant irrésistiblement  une commissaire du peuple du trente deuxième district de canton du parti,  m’invite à essayer, mi insistante, mi indulgente, me montre la voie en  vidant lors de ce repas, comme la plupart des chinois présents, entre cinq et dix de ces verres, ce qui représente  une quantité d’alcool impressionnante !  Elle repartira d’ailleurs aussi droite qu’en arrivant, mais toutefois un peu plus rouge que son parti ne devrait le souhaiter !

Une fois les plats vidés évacués, nous pensons  tous que le repas tire à sa fin. Il est environ treize heures, la gnole coule toujours à flot. Une douzaine de bouteilles vides sont remisées à proximité sur une desserte. C’est alors que des turbots  farcis géants nous sont servis, qu’il convient absolument que nous goutions : mais il y a bien longtemps que je n’ai plus faim. De plus,  le prolongement de cette station assise me pèse beaucoup  Le poisson est fin et finalement, je ne regrette pas d’en avoir gouté.  La légion de serveuses apporte ensuite des petits plats remplis de fruits et légumes frais coupés, avec des bannettes en bois de crêpes de riz fumantes , que nous croyons être le dessert !! IL ne s’agit en fait que des signes  avant coureurs de la suite de ce festin, puisque cinq énormes canards laqués nous sont servis, puis  artistement et cérémonieusement découpés devant nos yeux .La commissaire du peuple se soulève à nouveau, mais un peu plus lourdement, porte un énième toast, puis  nous explique qu’elle va elle-même nous confectionner à chacun une crêpe garnie de peau grillée, de viande de canard , accompagnée de légume, de fruit et de sauce au soja.  L’opération se déroule comme un cérémonial debout,  avec sourire, remerciements et courbettes de part et d’autres. Je me surprends à absorber quatre crêpes fourrées au Kaoya  (canard laqué) , malgré ma satiété. Je dois tout de même entreprendre en douce le déboutonnage de  mon pantalon, tant je me sens comprimé par l’avalanche de boustifaille que je viens d’imposer à mon organisme de longue date patiemment formé à la réserve et à l’équilibre nutritionnel.

Je me dis que nous sommes enfin  au bout de nos peines  Il est environ quinze heures quand les petites serveuses empressées  déposent devant chacun d’entre nous une soupière blanche  fumante  pleine d’une liquide épais jaunâtre et bouillant, dans lequel flotte quelque chose de peu appétissant, pouvant être assimilé à une  pomme de pin. Les chinois applaudissent avec un grand enthousiasme, comme s’ils étaient affamés L’arrivée de ce nouveau met les ravit, ce qu’ils expriment en ingurgitant sans respirer  un nouveau verre de gnole!! Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer cette célèbre scène cinématographique d « Indiana Jones et le temple maudit », lorsque, cérémonieusement  reçu à un festin Sikh dans l’Inde profonde, Jones se voit servir le même genre de potage jaunasse – glauque à la surface duquel flottent des yeux entiers au regard fixe,  de toutes tailles. La soupe est à l’œil, mais il risque tout de même de la payer cher !!

En fait,  ce qui nous est servi est un concombre de mer, ou holothurie, selon le nom scientifique. L’animal qui m’est asséné s’apparente aux oursins et aux étoiles de  mer, sans les branches ni les piquants, mais selon un coloris brun strié dont la flottaison légère et vagabonde  me semble aussi peu ragoutante qu’évocatrice. Là, je n’ai plus faim ; je suis au bord de l’implosion ou peut être, de l’explosion, à moins que cela ne soit les deux ? La commissaire du peuple me fait dire, voyant ma réserve teintée de désespoir, qu’il s’agit là de celui des mets les plus appréciés des chinois, et que le fait de s’en voir servir un d’une si grande taille constitue un honneur doublé d’un privilège.  Je peux alors me réjouir d’avoir échappé à un de leur supplice chinois, dont je mesure ainsi,  en toute connaissance de cause, le probable perfide portée ! La mort dans l’âme et dans l’estomac, ce soir là situés  à peu près  au même endroit, je dois me résoudre à absorber cette bête  flottante  cylindrique.  La sauce, le potage ou la soupe, que sais- je,  n’ont hélas, ou fort heureusement aucun gout, à tel point que je me demande bien à quoi elle sert. Peut être à ramollir la bête ? Celle  ci s’avère  caoutchouteuse à souhait, de la même consistance qu’un marshmallow ou du calamar mal cuit.  Mais la mesure  est comble, je ne peux vraiment plus rien avaler, au risque de renvoyer au profit de tous,  sur la table tournante,  mes précédentes agapes. Les chinois ont pendant ce temps  littéralement dévoré leur holothurie, lampant la soupe à grand renfort de bruit de succion, évoquant le  plausible vivant  de cette curieuse bestiole. Le chinois le plus proche, voyant que ni Jean- Claude ni moi ne nous décidons à absorber notre punition, sollicite  l’autorisation de se les approprier, puis  se jette dessus, les engloutissant  l’une aprsè l’autre, à vive allure, aidée en cela par un grand verre de prune.

Il est environ seize heures quand des fruits frais nous sont servis, finalement  bienvenus. Je ne parviendrai à reboucler ma ceinture que vers le soir ! Nous nous séparons vers les dix sept heures, devant l’hôtel. Je me surprends à promettre à la commissaire du peuple de la recevoir en aussi grand apparat si elle aussi vient en France un jour. Je réalise que pour lui rendre la pareille, il sera difficile de trouver des plats qui la rebutent  autant que cette holothurie, puisque les grenouilles et les escargots, situés pour nos voisins étrangers au sommet de l’échelle du dégout,  me semblent largement aussi assimilables que les scorpions, frelons  ou que d’autres araignées, rats  ou serpents, auxquels nous avons  pour l’instant échappé !

La séparation entre Manu et son Maitre est émouvante. Manu sait qu’il s’agit, peut être là de sa dernière rencontre avec cet homme étonnant. Même si les entrainements techniques sous sa direction m’ont un peu déçu malgré la profusion de conseils engrangés, je ne peux que constater l’immense niveau de ce Maître. Peut être aurons nous encore la chance de le côtoyer  à nouveau, si un voyage peut être mis sur pied l’an prochain. Nous rentrons à l’hôtel, puis   partons  en ville pour y faire du shopping. Il convient également de préparer nos bagages, puisque notre retour est programmé pour le lendemain, « vers «  24 h, à l’aéroport de Pékin. Nous comptons donc les laisser à la réception de l’hôtel, et passer notre dernier jour en ville, grâce à une autre journée de soleil annoncée, ce qui est une agréable surprise en cette saison.







Mercredi 6 octobre 2010—

Nous décidons, de concert, de nous lever tôt, afin de profiter au mieux et au plus longtemps de cette dernière journée, et de ce beau temps magnifique. Nous visitons rapidement «  le temple du ciel » qui surplombe la cité interdite, nous donnant  de cet édifice historique un aperçu beaucoup plus complet et surtout moins fatiguant que si nous ne l’avions interminablement visité à pied . D’ailleurs, il nous est possible de nous rendre  compte de l’immensité de ce site touristique du fait de  notre position dominante qui  nous offre une perspective permettant de réaliser  que la proche sortie  de la cité grouille de milliers de personnes en train de piétiner. Ceci  laisse à penser ce  à quoi doit ressembler l’intérieur, aussi étendue qu’une ville de banlieue. Nous devons encore à Manu, guide expérimenté, de nous avoir ce jour là, exonéré d’une visite certes incontournable, mais par trop  pénible car interminable, au seuil d’une journée programmée à rallonges, puis  d‘un double vol intercontinental.

La puissance du fil de fer

Nous  déjeunons rapidement dans un restaurant populaire avant de nous  rendre, comme Manu l’avait programmé, dans l’un des parcs municipaux  de cette belle ville, ou de nombreux artistes martiaux, parfois célèbres, s’  adonnent là  à leur  passe temps favori. Manu espère d’ailleurs pouvoir y surprendre, lors de son entrainement personnel, un célèbre Maitre de Bagua…..de loin, j’entends ! Les pelouses y  sont  nombreuses, rases et épaisses. Des arbres centenaires sont peuplés d’étonnants et familiers oiseaux exotiques en cages. Ces espaces, très prisés des chinois,  sont  dédiés  aux pratiques diverses, à la détente, la flânerie, le jogging,  et au bien être  Assez curieusement, le sol me semble moins jonché de détritus divers comme partout en ville : les chinois semblent respecter ces lieux de ressourcement qui ont été mis à leur disposition. Nous allons de spectacles en surprises !

Là, au détour d’un bouquet d’arbres, nous  tombons sur un vieil  homme occupé à exécuter le tai chi chuan de style Wu, seul, concentré, dégoulinant,  pénétré par sa pratique, ignorant du regard de ce groupe d’occidentaux ne perdant pas une miette de ce qu’il enchaine.  Là, un groupe d’une vingtaine de personnes  semble investi dans un travail de qigong.  Ici, un autre, plus important a branché une sono et s’adonne avec passion et brio au tango argentin. Puis nous franchissons un monticule de pierres, nanti d’un adorable petit pont antique pour découvrir, dans un frais sous bois, un adepte du bâton long exécutant  son enchainement d’une manière époustouflante. Ses congénères, spectateurs attentifs,  s’essaient   à leur tour, en silence, se transmettant l’arme avec précaution, dans  le respect des uns des autres, détachés des regards périphériques, pourtant nombreux. Un peu plus loin, au bord d’un étang, un groupe pratique avec intensité le tai chi lao jia  (forme ancienne) de Chen, celui même que je suis allé découvrir en juillet en Espagne avec maitre Wang Xi’an. Afin de ne pas  être constamment être  dérangés  par les gogos de notre acabit en mal d’informations, les responsables du groupe ont placé, entre deux arbres, une grande pancarte en mandarin et en anglais, explicitant l’origine, et l’objectif de leur pratique. J’observe qu’il y a là de  très jeunes gens des deux sexes, des anciens, tous s’adonnant, ensemble,  avec ferveur à leur enchainement. Plus loin, un vieux maitre barbichu donne des conseils à quelques jeunes gens sur ce qui me semble être un des enchainements dérivés de l’école Yang. Sur une place pavée ou nous faisons une halte, un homme, plus jeune, vêtu de blanc immaculé enchaine magnifiquement une suite de mouvements lents, à propos desquels Manu opine qu’il s’agit d’un qigong,  alors qu’il me semble, compte tenu de la  durées de la nature résolument martiales, qu’il s’agit d’un tai chi, mais sans pouvoir  en identifier formellement l’école. Quelques dames audacieuses tentent  individuellement de le suivre de loin, sans son appréciation, selon une dextérité qui surprend compte tenu de leur âge et de leur statut de débutantes. Sur un talus voisin, une belle jeune femme tiendra la posture tout au long de la  demi heure que durera notre halte, dans bouger une oreille.

Près d’un square arboré, un grand espace en gore accueille un groupe important, dont le leader déracine du sol  tous les autres participants, selon un travail de pousse- mains subtil en déplacement qui ne manque pas de m’interpeller. Ils sont une  dizaine, environ, hommes et femmes. Sous les arbres, deux couples de femmes s’emploient, pieds parallèles, genoux  fléchis, à tenter de  réussir cet exercice, mains sur le buste l’une de l’autre, tirant, selon, poussant,  mais d’une manière douce qui privilégie la détente sur la contraction. Le leader travaille, à tour de rôle, avec des chacun des participants masculins, les éjectant avec douceur, mais fermeté à plusieurs mètres quelque soit leur poids ou leur intensité d’action.  Il doit avoir une petite cinquantaine, très mince, à la limite du malingre, pour ne pas dire du maladif. Souriant, il s’efforce de transmettre sans un mot son ressenti. Ceci ne l’empêche pas de demeurer constamment  sur ses bases, aucun des membres du groupe ne parvenant à le bouger d’un iota, comme si ses adversaires d’un instant tentaient de pousser le vent.

Ayant depuis un bon moment déjà observé que nous nous intéressons à son cours, il nous invite cordialement, à venir «  éprouver « (Nimen  Yao shi shi  ma ?) Manu demande  à la cantonade si l’un de nous est disposé à répondre à l’invitation, mais non sans  nous recommander, si nous sentons  que nous prenons le dessus, de le ménager, afin qu’il ne perde pas la face devant ses congénères. Je me précipite pour profiter de cette expérience, que je n’aurai sans  doute  pas l’occasion d’avoir  à nouveau au cours de ma  vie. Fildefer se place face et moi, posant ses bras sur les miens. Son contact s’avère arachnéen. Insaisissable. Volatile ! Il me semblait pourtant si vulnérable. Mais  mon pauvre  «  Kung Fu » s’avère vite insuffisant, même si tout au  début de l’engagement, mon adversaire m’a bien laissé croire en ma supériorité. Il attends stratégiquement et intelligemment  que je me perde dans la persistance de mon attaque- poussée  pour trouver , après  avoir subtilement annulé l’effet de ma force,  grâce à ses mains sensibles comme des antennes, le point de rupture qui lui permette, par une double appositions des mêmes mains  du bas ver le haut, à me soulever comme une plume, les deux pieds décollés, pour me faire me reposer quelques mètre plus loin. Ce prodige pèse bien trente kilos de moins que moi, mais me voici totalement désarmé  pour déraciner ce fil de fer respectueusement hilare, doux  et calme. Mario et son quintal athlétique n’y parviendront pas mieux, à la grande joie du reste du groupe, lorsque sil voltige plusieurs mètres en arrière. NI l’un ni l’autre n’avons compris comment une telle chose était possible.

Nous sommes ensuite présentés à un très vieux Monsieur, assis sur un proche banc, occupé à fumer et cracher  d’abondance.  Il  s’agit de leur Maître  en qui Manu finit par reconnaitre une célèbre maitre de tai chi de Yang de la cinquième génération, réputé dans toute la Chine.  « Fil de fer » doit donc être un  disciple, ce qui explique sans doute le niveau qu’il a bien voulu nous déployer. Que ceux qui osent prétendre que le ta chi n’est  qu’une aimable  danse récréative,  veuillent bien  se rendre  à Pékin, puis  osent défier ce phénomène pour tenter de le déraciner de son parc ! Je réalise que l’exercice de tuishou sur place ne m’a jamais été proposé par mon ex-Maître, alors qu’il m’apparait comme fort éducatif de la conscience que nous pouvons, ou pas, avoir, de notre corps et de celui de l’opposant. Il est vrai que toutes les écoles proposent voire, impose, en priorité, des kyrielles d’enchaînement que tous sommes supposés maitriser, au détriment de cette possibilité de rencontre avec l’autre. Et surtout avec soi.

Voyage de retour

Vers 22 heures, nous repartons  lourdement chargés vers l’aéroport, après un périple urbain loin  d’être des plus confortables compte tenu du nombre et du poids de nos bagages, plus important qu’à l’aller. Nous embarquons, comme prévu, vers 24 h. Le vol de retour vers notre escale émirati, outre un verre de gin blanc avalé «  gan bei »  (cul sec)  par mégarde  par mes soins en lieu et place d’un verre d’eau, provoque l’hilarité du personnel de bord, et une toux irrépressible dont je ne parviendrai à me débarrasser  qu’au bout d’une heure. Les alcools forts ne me réussissent décident pas !! Le transit à Dubaï , long et inconfortable car non doté d’ère de repos, est terni par la confiscation suspecte par les douaniers, ou employés du contrôle bagages, du cognac et de l’armagnac  de Manu, et des cigarettes des autres, sous prétexte que « it is  forbidden , sir  »  Ces , emplettes, pourtant légalement et réglementairement achetée à l’aéroport au duty free de Pékin, n’ont pas du être perdues pour tout le monde . Il  s’agit là d’un véritable et scandaleux racket perpétué sous le  couvert d’une fonction  officielle , dans un pays libertaire ou il ne vaut mieux pas  contester de crainte  de se retrouver démocratiquement « charrié » ,  embastillé, emminaretisé ,  devrais  je dire plutôt qu’au bon vieux mitard de chez nous !!

Jeudi 7 octobre 2010-

Nous arrivons à Roissy en début d’après  midi, dans les temps impartis, enrichis,  la tète pleine de souvenirs, mais tous littéralement épuisés, et sommes toutes, soulagés de rentrer chez nous. Nous nous séparons à Lyon part Dieu, non sans nous promettre de repartir dès l’été prochain.

Réflexions et conclusions

L’organisation de ce voyage, pourtant préparé au mieux par Manu Agletiner , s’est trouvée considérablement perturbée tout au long du séjour,  par les changements de programme,  de destination, et de budget, apposés en dernière minute, à la chinoise, par nos hôtes. La fatigue et la contrariété, l’inquiétude et le sentiment de frustration impuissante  qui en ont  ainsi découlé, même si elles  n’ont en rien ôté au coté attractif de la pratique et de sa  transmission directe, nous a couté beaucoup, diminuant, en tout cas en ce qui me concerne, notre capacité d’écoute, de concentration, d’assimilation, de synthèse. Si d’autres voyages ont prévus, je ne désire plus en aucun cas subir les inconvénients dus à trente heures  de train de nuit en couchette dure en altitude   accessibles au prix d’exploits alpinistes , ni au manque de sommeil chronique  du à des trains- bétaillères surpeuplés et  mal ventilés,  des troupeaux de coqs contestant bruyamment leur proche absorption , à l’opéra de Pékin et ses trompettes pas si renommées ,à  des escouades de  paons en perpétuelle prises de bec, à  des bandes de  chiens aux aboiements lancinants et incisifs,   ou à  des clans de  chinois embrumés dans l’enfer du jeu,  tous machiavéliquement ligués , de concert,   pour entraver une pourtant  indispensable  récupération. Nous nous sommes donc bien mis d’accord avec Manu, comme quoi nous demanderions des garanties à cet effet avant de nous engager dans un nouveau périple.

La transmission perçue au cours de ce voyage

Si les conditions de ce voyage furent pénibles, ce que nous en avons retiré fut au contraire satisfaisant. Le discours de WSW ne différa pas de celui de l’an passé. Une foule d’informations fut mise à notre disposition, par l’évident désir de ce Maitre de  s’impliquer à fond dans les explications, le soutien pédagogique et les démonstrations. Nous avons abordés plus en profondeur de nouvelles techniques, qui nous mèneront, sur la base d’un travail régulier, vers de nouvelles perspectives. Nous  sommes repartis avec la certitude que l’essentiel dans la pratique réside dans le travail de base, des postures, des déplacements et des essais de force  .Nous sommes confortés dans la conviction que la pratique intensive du combat libre nous fera pas avancer, de par son statut trop conventionnel, tout comme l’assimilation de «  formes » ne peut que conditionner notre spontanéité et notre créativité. Qu’en tout  cas, elles ne peuvent consister qu’une étape sur  la voie de la pratique. Une étape que ce voyage m’a permis de comprendre, dont j’aurais du me rendre compte depuis longtemps !

Je continue, par ailleurs, comme l’an passé, à me demander jusqu’où peut aller la profondeur de transmission d’un tel maitre chinois à des  gens  comme nous, mi- touristes occidentaux, mi amateurs en mal d éclairage. Bien qu’il sache qu’il puisse ne jamais nous revoir, WSW s’est livré à nous comme si nous faisions déjà partie de son groupe d ‘adeptes au niveau impressionnant. Quelle est pour lui la portée sémantique du terme « amitié », employée à plusieurs reprises  à notre endroit ? Quel est son degré de sincérité par rapport à notre occidentale acception de ce terme, alors que le peu de temps passé avec lui et le niveau qui end écoule ne me semblent pas suffisant pour susciter une telle déclaration et retenir  son attention ? Suis- je injuste et sévère  dans mon questionnement à cet  égard ?

Une autre attitude, récurrente de ce groupe de WSW m’interpelle, encore davantage que lors de mon  premier voyage .J’ai du mal à admettre qu’en tant qu’adeptes du qiqong Yang sheng, ce qui signifie littéralement « prendre soins de soi », ces chinois aient aussi peu soin de leur hygiène corporelle, de par leur propension  à abuser et de la cigarette et de la table. WSW est  à près de… quatre paquets de cigarettes blondes par jour, dont il transporte sur lui des stocks conséquents, en allumant une avec le mégot de l’autre, aidé en cela par des disciples complaisants, au briquet agile et spontané.

Les jeunes disciples de WSW sont presque tous « quintaliers  », parfois, davantage. Ceux qui ne semblent pas à posséder de propension endogène à l’embonpoint semblant se forcer à fumer et à bâfrer pour ressembler  au Maitre. J’avance la même réflexion à propos des disciples quinquagénaires de Maître Li Jiang Liu, qui, s’ils se laissent aller trop souvent  aux plaisirs de la  table aussi vigoureusement que lors de ce mémorable festin, éradiquent sans aucun  doute d’un coup de fourchette, ou d’un lever de coude à la prune,  toutes les heures de postures passées en entrainement. J’avais également remarqué, en mars 2010, à Lyon,  que Maitre Guo avait, lui aussi cette détestable manie de fumer. Dans une autre vie, c’était en 1978, j’avais ainsi observé que tous les élèves proches de Maitre Murikama, référant d’une école de Karaté en France, fumaient, tous la pipe, tout comme leur Maître. S’agit- il de mimétisme par rapport à une personne à laquelle on ressent le besoin de s’assimiler ? Ou alors est cette une forme d’auto- promotion inconsciente au sein d’une hiérarchie que de vouloir faire comme le Maitre ? Quoiqu’il en soit, il n’est dans mon intention de communiquer à mes élèves les acquis de ce stage, non sans les avoir moi-même copieusement travaillé, selon le degré de compréhension et de sensations que j’en ai eu.

Les enseignements avec Maitre Li

Ils ne m’ont pas semblé différer de WSW. Il m’a pourtant semblé déceler une différence dans la transmission du second, selon laquelle sa pratique est aujourd’hui essentiellement orientée vers la santé, son âge et l’état de son genou ne l’autorisant probablement plus à montrer des choses encore probantes en combat, ce qui,  pour moi, ne constitue en rien  un inconvénient ou une déception . Maitre Li m’a par ailleurs  semblé flatté qu’une délégation occidentale lui rende visite, ce qui, selon  Manu, ne lui était pas arrivé depuis longtemps.

Le contact avec Manu Agletiner

Manu, de par ses talents variés et complémentaires, s’est révélé précieux, pour ne pas dire indispensable. Ce jeune homme  brillant de trente trois ans, qui a  précisément l’âge de mon fils ainé, s’est révélé être d’une disponibilité constante, malgré les difficultés organisationnelles  précédemment évoquées, d’une gentillesse à tous égards, d’une aide auxiliaire prépondérante dans les traductions, jusque dans  l’assistance pédagogique, offrant à l’un , à l’une ou à l’autre, ses conseils, son aide, ses recommandations, qui nous ont incontestablement fait avancer. Je souhaite également préciser que cette personne me semble personnellement d’autant plus attachante qu’elle s’intéresse aux mêmes choses que moi, à savoir, outre les  arts martiaux, les langues vivantes et les voyages. Manu a eu les tripes pour faire, à vingt ans ce que je n’ai pas eu le courage de faire au même âge, soit  m’inscrire  dans une école  de langues orientales, puis « partir » à l’aventure, vers l’inconnu, rencontrer des Maitres asiatiques. Il est  devenu, grâce à sa constance et à son travail, mais aussi à la confiance qu’il a su leur inspirer,  un élève direct, doté d un nom chinois. Il fait bon connaitre Manu, et je compte bien solliciter son talent technique autant qu’humain. Nous avons déjà un projet de stage à Lyon en janvier, puis un projet de voyage en Chine en fin aout 2011, lors de la dernière semaine, ce jusqu’au 6 septembre environ de façon à cette fois ne pas empiéter sur le rentrée du dojo, et ne pas subir les trop grosses chaleurs de début août.

Le contact avec la Chine

Immense, trépidante, secrète, variée,  mouvante, gigantesque, affamée de progrès et de conquêtes  sur des bases civilisationnelles de tradition, elle recèle au cœur de sa culture ancestrale le secret martial « du fil de soie chinois », peut être jalousement  gardé par des guerriers debout , derrière d’infranchissables murailles, au cœur  d’une cité plus qu’interdite A moins que ce secret, ne réside, comme dans notre propre culture, dans l’accomplissement quotidien d’une pratique tissant jour après  jour pendant des années,  ce même fil à la fois invisible car trop près de notre œil,    pour  nous qui ne savons plus attendre, nous qui voulons tout, tout de suite !! Jean de  Lafontaine,  lors de la morale de sa fable « Le laboureur et  ses enfants » ne nous at.-il pas déjà enseigné ce secret du fil de soie chinois, cette remontée du courant jusqu’à la source,  en nous rappelant qu’il faillait chaque jour creuser, bécher et labourer  pour trouver le trésor ?

« Hier enfant dans ma chambre, à l’aurore aux couleurs  d’ambre, pressentant  le grand mystère, j’ai cherché…Où est la source ? C’est une étoile sous la mer, c’est la grande ourse, un voilier blanc sur  l’azur qui poursuit sa route. Où est l’eau pure ? Où trouver l’air, qui feront de l’homme obscur un homme lumière et de nos âmes divisées une âme entière ? Où est l’eau qui désaltère ? » (Michel Jonas, l’album « ou est la source « 1992)

Mais cette Chine en devenir ne va-t-elle pas elle aussi, désapprendre cette patience légendaire avant l’accomplissement, compte tenu de la voie de  la frénésie industrielle et consumériste dans laquelle elle s’engage résolument ? Le fil n’est il pas déjà brisé, et  seulement présent dans notre imaginaire occidental  utopique en mal d’absolu ?

Des photos sont disponibles sur notre site www.atemimontdor.com


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